Leyo

10 1 0
                                    

Carotty contemple son nouveau voisin avec une admiration sans pareille. Quel est cette étrange créature ? On aurait dit un mélange entre un ours polaire et... Un renard ! Bien sûr, c'est un renard ! Mais il est drôlement différent, pense la petite rouquine. Elle continue de l'observer pendant un moment. Il ne bouge pas d'un poil... Je me demande bien comment il a pu arriver ici, nous sommes déjà quatre renards... C'est suffisant, non ? Carotty, décidée à percer le mystère, tente donc une approche : 

- Hey, psssst ! 

Pas de réponse.

- Je m'appelle Carotty. Et toi c'est comment ? insiste-elle.

Toujours rien. L'animal n'avait pas fait un seul petit geste depuis son arrivée. Il reste là, en boule. 
La curieuse jette alors un coup d'œil à la pancarte accrochée au grillage d'à coté. Elle y lu "Rupert".

- Alors c'est comme ça que tu t'appelles ? Rupert ? Tu peux me répondre, tu sais. Je ne vais pas te manger.

Carotty sent tout à coup un grand sentiment de satisfaction monter en elle lorsqu'elle aperçoit la tête  du nouveau se redresser. Il se met à la regarder sans rien dire, puis se lève et marche vers elle doucement. Il ne dit toujours rien mais, étrangement, ce silence ne dérange pas la jeune renarde. Elle se décide quand-même de le rompre :

- Tu as l'air terrifié... Tu sais, je peux t'aider ! La vie au zoo, bien qu'elle soit tout à fait insupportable, est très facile à comprendre ! C'est simple : tu dors, tu tournes en rond, tu manges, tu tournes encore en rond, puis tu dors encore et...
- Je m'appelle Leyo, dit soudain le renard en coupant le monologue de son interlocutrice.

Carotty cesse de parler. Elle est bouche bée. Voilà donc les premier mots qu'elle aura entendu sortir de la bouche de cet étrange voisin : "Je m'appelle Leyo". Là, elle réfléchit. Leyo, donc... Pas Ruppert ? Elle demande :

- Donc à toi aussi on t'a donné un nom qui n'est pas le tiens ?
- Apparemment, répond l'autre.

Puis le silence, encore. Mais elle ne sait plus quoi dire ! Elle l'observe, il la dévisage. Tous deux en train d'essayer à en apprendre plus l'un sur l'autre, sans le moindre usage de la parole. 

- D'où viens-tu ? interroge Leyo, au plus grand étonnement de la jeune renarde. 
- Euh... Je ne sais pas vraiment, répond-elle. Je sais que là-bas, j'aurais vu plein de belles choses et j'aurais vécut toujours des journées différentes !
- Tu ne sais vraiment pas d'où tu vient ? Tu es née ici ? demande encore le renard blanc.
- Non, dit-elle presque brutalement.
- Ne l'écoute pas ! retentit une voix féminine. Elle est aussi bête qu'un lapin de trois semaines !

Carotty se retourne et voit sa sœur arriver en trottinant sur ses pattes raffinées. 

- Tu ne devrais pas parler avec une folle dingue comme elle, conseille Lady à Leyo en bousculant sa cadette. Elle risque de te raconter n'importe quoi ! Mais surtout, si tu as besoin d'aide, n'hésite pas à m'appeler ! Qu'est-ce que je ne ferais pas pour mec aussi stylé que toi !

Alors là ! Carotty n'en revient pas ! Comment Lady peut-elle humilier sa petite sœur de la sorte ? Cette fois, c'en est trop ! La petite renarde s'écarte de quelques mettre puis, sous le regard d'incompréhension de Leyo, elle fonce droit sur son aînée et la pousse violemment contre le grillage électrique ! Lady se prend un puissante décharge et s'échappe vite en faisant résonner ses pleurs exagérés à travers le zoo entier.

- Elle l'a bien mérité, dit soudain Leyo en riant.
- Tu ne me trouves pas méchante ? demande la rouquine, surprise de sa réaction.
- Non, elle l'a cherché, la vilaine ! répond-il, toujours en riant de bon cœur.

Carotty se met aussi à rire. Elle est ravie. Elle a enfin un ami qui la comprend.

Bref, les jours passent et la petite renarde n'est plus seule. Elle essaie de rester le plus longtemps possible en compagnie de Leyo, maintenant devenu son meilleur ami. Ils ont beau être séparés par un grillage, cela ne les empêche pas de se parler, encore et encore. Ils ont tant de choses à se raconter ! Durant la première semaine, Carotty a appris qu'il venait d'un endroit magnifique où son pelage d'un blanc immaculé se fondait dans le décor neigeux. Il a été kidnappé alors même qu'il dormait. C'est la raison pour laquelle il s'est trouvé totalement déboussolé en arrivant au zoo. En même temps, elle lui a expliqué le fonctionnement du parc animalier en mentionnant les animaux, les visiteurs, les horaires d'ouverture, l'heure du nourrissage, sans oublier le petit garçon toujours bien droit dans son costume de mousse ! D'ailleurs, Leyo a fini par beaucoup l'aimer aussi. Et le matelot s'est résolu à emmener plus de friandises pour ses deux compères. En clair, la vie semble tout à coup avoir beaucoup plus de sens !

Ce soir, les deux amis discutent comme à leur habitude. Ils sont allongés sur le sol d'herbe humide et regardent le ciel.

- Regarde la lune, suggère Leyo. Elle est magnifique ! Chez moi, je ne la voyais pas souvent. Il y avait beaucoup de nuages.
- Tu préfères pouvoir voir la lune ou être hors de cette prison ? questionne Carotty en guise de réponse.
- Je préfère bien mieux être libre ! affirme le renard polaire, sans la moindre once d'hésitation.
- Libre ?...

La renarde ne comprend pas. Ce mot sonne si bien, pourtant !

- Oui, être libre ! répète son ami. Ah, mais c'est vrai... Tu n'as jamais connu la liberté. Tu es née ici après tout !
- Non. Je suis sûre que non, répond Carotty.
- Ce n'est pas ce que m'ont dit tes aînés.
- Ils croient des bêtises. Ils m'appellent par un prénom qui n'est même pas le miens ! Ils se laissent avoir par ces fichus humains...
- Et... Tu te souviens de tes parents ? demande Leyo, un peu inquiet.
- Non... avoue tristement la rouquine. J'ai déjà cherché mille et une façon d'essayer de m'en rappeler, mais... Rien. Enfin, si. Depuis toujours, j'ai une mélodie dans la tête. Je ne sais pas vraiment comment elle m'est parvenue, mais... Je... J'ai tendance à croire que ça vient de ma mère.
- Ah oui ? s'interroge son ami. Une mélodie, tu dis ? Juste une mélodie ? C'est étrange que ça te revienne et pas le souvenir net de tes parents.
- Ce n'est pas qu'une mélodie, en fait c'est une comptine. Elle avait dû... Enfin, ma mère me l'avait sûrement chantée lorsque j'étais bébé.
- Je peux l'entendre ? ose timidement Leyo.
- Hum... Oui, oui.

Et sur ce, Carotty se met à chantonner : «Carotty, mon enfant, tu survivras. Comme ta mère, tu grandiras dans l'air sauvage de nos terres. Tu savoureras la fraîcheur de l'Hiver, l'odeur des fleurs au Printemps, la lumière du soleil en Été. Mais surtout, tu verras la beauté de l'Automne et de ses admirables couleurs d'amour. Comme ton père, tu gambaderas avec grâce parmi les papillons, et tu immiteras les loups les soirs de pleine lune. Carotty, mon enfant, tu survivras !»

- Je t'aiderai, assure Leyo à son amie.
- À quoi ? demande la renarde sans comprendre.
- À survivre, répond Leyo. Et à retrouver ta liberté.

Il lui a dit ces mots comme si ça allait devenir le seul et unique but de sa vie, mêlant sa voix rassurante et son sérieux. Il est désormais engagé à ramener Carotty dans sa forêt d'automne. Et lorsque Leyo s'engage, il est prêt à faire n'importe quoi pour tenir sa promesse.

Cette nuit d'automneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant