Coeurs Coupables © [Anciennement "Guilty" ÉDITÉ]

| CHAPITRE 3 |

I

l est dix-huit heures trente lorsque je quitte le garage après m'être débarbouillé et avoir enfilé mes fringues de civil. Ce soir, pour la première fois depuis des mois, j'ai un genre de rencard avec une cliente qui est de passage en ville et qui ne connait rien de moi, pour changer, ça fait un bien fou.

Ça a beau faire six ans, la situation me paraît complètement bizarre. J'ai l'impression que je suis en train de la trahir. Pourtant, Neva est morte. Je n'ai aucun compte à lui rendre. Elle m'a abandonné comme une merde, sans explication. Et surtout, je n'ai encore rien fait avec cette fille.

Bien sûr, elle n'est pas la première que j'emmènerai boire un verre. La dernière en date était il y a deux mois, à trente kilomètres de Red Oak, parce que là-bas, personne ne me connait. On ne me regarde pas comme un foutu criminel, seulement quelqu'un de normal.

Je sais que les clichés ont la vie dure, mais avec mon look et mes tatouages, je fais le parfait coupable aux yeux de tous. Pourtant, contrairement à d'autres, je n'ai jamais commis d'infractions, même pas grillé un stop. Je n'avais plutôt pas intérêt, en compagnie de Neva.

Elle était le genre de nana qui savait ce qu'elle voulait, une fille marrante, belle et surtout, elle n'avait pas sa foutue langue dans sa poche. Quand elle a emménagé ici avec ses parents et qu'elle a débarqué au lycée, nous avions 16 et 17 ans, ça a immédiatement été le coup de foudre pour moi.

Comme dans ces putains de films hollywoodiens, elle est devenue ma raison d'être. Même lorsque nous nous battions tels des chiffonniers juste pour une part de pizza restante à l'intérieur du carton. On se disputait souvent, et ce qu'il y avait de mieux, c'était la réconciliation.

Je ne fais pas nécessairement allusion au sexe, mais plus à ce qu'il y avait dans ses yeux à ce moment-là. Un peu comme si nous retombions amoureux, que le jeu de séduction débutait. Neva savait tout de moi et moi d'elle, du moins, c'est ce que je croyais il y a encore six ans.

Elle s'est suicidée avec des médicaments alors il faut croire que je faisais erreur à ce sujet. Depuis, une seule foutue question me hante : pourquoi ?

Aujourd'hui, la famille Chapman au complet me hait. Je suis un violeur, responsable de la mort de leur fille. C'est ce que tout le monde dit et pense à Red Oak.

Lorsque Neva est morte, j'étais dans un tel état d'auto-destruction que je n'ai pas véritablement cherché à me défendre de tout ce dont on a pu m'inculper. Bien sûr, j'ai plaidé non coupable, mais à part ça... pas grand-chose. J'étais comme anesthésié par cette putain de douleur et l'incompréhension. D'un côté, sa mort, et de l'autre, cette plainte.

Il n'y a eu que deux personnes pour m'épauler à Red Oak, Wayne et Callie. Mon père était malade et pas en état de chercher à connaitre la vérité. Je crois qu'il ne voulait pas comprendre. Ça m'a tué. De savoir que mon propre père doutait de mon innocence, ça m'a foutu davantage en l'air. Il est mort en me pensant coupable et jamais je ne pourrais lui prouver le contraire.