14 mai.
Je l'ai revu.
Il avait l'air d'un chien errant, comme la dernière fois. Reste à savoir s'il mord.
Je vais essayer de l'approcher, demain. Enfin, s'il est toujours là. Et si j'ai toujours mes dix doigts en rentrant chez moi, je vous racontera...
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— Mais... Pourquoi t'as pas appelé les flics ?
Ses iris gris se détachèrent du dégradé jaune et rouge que formait son cocktail au fond de son verre pour se poser sur le visage confus de Colyn, assise face à lui, un bras appuyé contre le dossier de son siège.
— Il avait un flingue !
— Oui, d'accord, mais tu ne l'as pas fait non plus une fois qu'il était parti ! Tu ne l'as même pas raconté à ton patron !
— Je peux me passer de quinze dollars...
Colyn lui adressa un regard las avant de reporter son regard sur les lions de mer étendus au soleil sur les quais, imperturbables, même sous les flashs des touristes. Ce n'était pas la question de ses quinze dollars. Il le savait très bien, mais elle avait bien compris, après ces quelques mois passés à ses côtés, qu'il était inutile d'insister lorsqu'il s'entêtait à éviter un sujet. Difficile à croire, pourtant, qu'il s'était contenté de fermer la boutique comme à son habitude et était simplement rentré chez lui.
C'était pourtant bel et bien ce qui s'était passé. À quelques détails près, bien sûr, qu'il avait soigneusement évité d'évoquer.
Il n'avait pas réussi à fermer l'œil de la nuit. Pas parce qu'il était « hautement traumatisé » comme le suggérait Colyn, non, malgré les battements de son cœur qui ne parvenait pas à cesser de bondir contre ses côtes même dans le calme et l'obscurité de sa chambre. Il s'était tourné et retourné dans son lit, et même relevé pour faire des étirements vers quatre heures du matin, croisant et recroisant son propre reflet dans le miroir accroché à côté de son armoire. Il avait l'air d'un fou, avec ses profondes cernes et ses yeux écarquillés, à s'agiter tout seul ainsi, mais il avait fini par se rendre à l'évidence. Il devait le faire. C'était l'occasion rêvée.
Assis en tailleur sur son lit, son ordinateur reposant devant lui, il avait souri en posant les yeux sur la barre clignotante de sa page blanche. Puis, il avait commencé à taper. Il avait commencé à tout raconter. Le moindre détail. Le canon rivé sur son front. Son jean troué. Le coffre caché à ses pieds. Le foulard sur son nez, le cache-œil en travers de son visage, les mèches blondes sous la capuche, le tressautement amusé de sa voix. Le plateau qui tombe au sol. Les douze dollars du tiroir caisse.
Faut croire que j'aime bien être un p'tit con.
Le tintement de la cloche.
Puis il avait cliqué sur « publier » et avait immédiatement fermé son ordinateur. Il s'était levé, avait enfilé un tee-shirt qui traînait sur son siège de bureau, et était sorti de chez lui sous le regard brumeux et confus de son colocataire, Joey, à peine levé pour partir travailler. Dès que l'air frais du matin lui avait fouetté les joues, dès que le brouillard habituel de San Francisco étouffant le sommet des gratte-ciels était apparu devant ses yeux, il s'était mis à dévaler la rue pentue au pas de course. Il croisa quelques joggeurs qui lui firent un signe de la main en guise de salut, mais il accéléra, encore et encore, escaladant les escaliers liant les rues les unes aux autres sans même réaliser à quel point ses poumons le faisaient souffrir.