Une épaule pressée contre le mur en brique d'un bâtiment, le garçon jeta un bref regard le long de la rue pentue. Par chance, ce quartier résidentiel était déserté dès le coucher du soleil. Seule la façade rose et blanche de la boutique de donuts, surmontée d'un beignet gigantesque et de lettres multicolores formant les mots « Donuts Go Nuts ! », parvenait à attirer facilement l'attention, soulignée par les lueurs des réverbères. Il avait comme une impression de déjà-vu. Quelques jours plus tôt, il n'avait pris que quelques minutes, caché dans l'ombre, pour observer le petit commerce avant d'en passer la porte.
Le même arrière-goût amer lui envahit la bouche en levant le nez sur les trois drapeaux suspendus au-dessus de la porte d'entrée. En premier, bien sûr, le glorieux drapeau des États-Unis avec toutes ses jolies bandes rouges et ses étoiles blanches, au cas où la développeuse de la Silicon Valley ou l'homme-sandwich qui passait par-là osait passer une heure de sa vie sans se féliciter de se trouver dans le « meilleur pays du monde ». Ç'aurait été dommage.
En second venait un bout de tissu entièrement blanc, sur lequel le symbole Peace And Love était brodé en couleurs pastels. Ah, ça, c'était San Francisco. Si le propriétaire avait décidé de jouer la carte du grand patriote, il lui fallait aussi quelque chose qui attirerait les hippies comme le pollen attire les abeilles. Enfin, les hippies, ou ceux qui se présentaient comme tels tout en se permettant de lui adresser des regards effrayés en croisant sa route, comme si les clous accrochés à ses vêtements et les déchirures de son jean revenaient à se balader avec un avis de recherche à son nom. La définition avait l'air d'être un peu brouillée depuis le début du vingt-et-unième siècle.
Et enfin, le seul, l'unique, l'inoubliable drapeau arc-en-ciel qui se balançait gaiement à quasiment chaque rue du Centre. C'était le cas de le dire.
Le jeune homme laissa échapper un petit soufflement de nez en reportant son attention sur les deux silhouettes qu'il distinguait très clairement à travers les larges baies vitrées de la boutique. Une jeune femme, de dos, une moitié de crâne rasée et l'autre recouverte d'une épaisse chevelure bleue, tourna finalement les talons et poussa la porte de la boutique. Lorsqu'elle passa au niveau de la ruelle au coin de laquelle le garçon se cachait, il se pressa un peu plus contre le mur, mais elle enfonça une paire d'écouteurs dans ses oreilles sans même penser à jeter le moindre regard autour d'elle.
Il ne restait donc plus que ce pauvre type, tout seul derrière son comptoir. Dès qu'il fut assuré que la fille aux cheveux bleus avait disparu au bout de la rue, il se redressa un peu pour pouvoir l'observer depuis sa cachette. Exactement de la même façon que lors de leur première « rencontre », il se pencha brièvement hors de son champ de vision et réapparu avec un ordinateur dans les mains. Le jeune homme s'accouda à sa caisse, une paire de lunettes pantos sur le nez qui se souleva légèrement sur son front lorsqu'il se frotta les yeux. Vraiment... Si ce n'était pour la couleur de sa chemise, il aurait pu croire être coincé dans une boucle temporelle.
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Call Me Dead
Romance14 mai. Je l'ai revu. Il avait l'air d'un chien errant, comme la dernière fois. Reste à savoir s'il mord. Je vais essayer de l'approcher, demain. Enfin, s'il est toujours là. Et si j'ai toujours mes dix doigts en rentrant chez moi, je vous racontera...