Chapitre III

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CHAPITRE 3 - Identique

Quand elles se voient pour la première fois, la seule chose qu'elles ont vu, c'est leur reflet. La ressemblance est frappante. Cachées dans une petite ruelle entre deux immeubles complètement délabrés, elles se contemplent sans dire un mot. Dans ce monde, où le Système est roi, il est complètement interdit d'avoir plus d'un enfant. Alors, quelles étaient les chances que deux êtres complètement identiques existent. C'était contre toutes les lois.

— Qui es-tu? Valrie brise le silence. Pourquoi ce drone te suivait?

— Je ne sais pas, ces drones sont supposés de suivre les personnes instables. Je ne suis pas instable! Il doit avoir une erreur dans le Système, répond l'autre.

— Mais qu'est-ce que les drones du Système font de notre côté, ils ne sont pas supposés traverser la frontière.

À ces mots, la jeune fille inconnue ouvre grand les yeux.

— Tu veux dire que je ne suis plus du côté du Système!?

— Non... Bienvenue, chère inconnue, de l'Autre Côté. Je m'appelle Valrie, dit-elle en tendant la main.

Pas de réponse. La fille du Système commence à faire les cent pas, bredouillant des craintes à propos des conséquences, de l'impossibilité de la situation. C'est évident que le Système ne serait pas content d'apprendre qu'une de ses citoyennes avait traversé la frontière.

—T'as un nom toi? reprend Valrie.

— Non, je m'appelle 010975.

— D'accord, 010975, on ne peut pas rester ici, c'est dangereux. Me fais-tu confiance?

La question est banale. Ce ne fait que quelques minutes que ces filles se connaissent. En temps normal, toutes deux ne feraient pas confiance aux inconnus. Mais drôlement, chacune a le sentiment de pouvoir compter sur l'autre. De plus, ni une ni l'autre ne souhaite passer la nuit dehors dans cette ville.

— Oui.

.   .   .

Le sentier est illuminé par la lumière blanche de la lune. Ici, on se croirait dans un monde différent. Le paysage urbains gris remplacé par le vert de la nature. Les herbes hautes entourent une clairière. Au centre, il y a un objet étrange qui n'est pas à sa place parmi toute cette verdure. Un prisme métallique énorme. C'est exactement là que les jeunes filles vont.

010975 reconnaît immédiatement cet objet. Il s'agit d'un wagon de train souterrain exactement comme ceux qu'on retrouve dans le Système. Valrie se dirige vers la porte du wagon, lui donne un gros coup de poing et celle-ci s'ouvre dans un grincement.

L'intérieur était plutôt simple. Dans un coin, se trouve un tas de coussins colorés et une petite bibliothèque remplie de manuscrits. Puis, à l'opposé, se trouve une table avec quelques déchets qui s'y trouvaient depuis probablement trop longtemps.

Les jeunes filles s'assoient dans la tas de coussins. Après un long moment de silence, 010975 demande à qui appartenait tout cela.

« Elle s'appelait Kimra. Elle vivait ici quand elle était jeune. C'est elle qui m'a élevée. Elle m'a dit que mes parents m'avaient laissée, elle ne les a vus que quelques minutes. Elle leur a promis de prendre soin de moi. C'est ce qu'elle a fait.

On vivait dans un édifice abandonné près du centre-ville. La vie était belle, du moins selon les standards de l'Autre Côté. Kimra racontait toujours les plus belles histoires : des pirates traversant les océans, des princesses braves qui affrontaient des monstres terribles, tout cela me passionnait. Quand j'avais dix ans, elle m'a apportée ici. Elle m'a expliqué que c'était où elle a habité pendant sa jeunesse. On a passé la nuit ici. C'était sûrement la plus belle nuit de ma vie.

Quand je me suis réveillée, elle était partie. J'ai attendu toute la journée, mais elle n'est pas revenue. Je suis retournée au centre-ville. C'est là que j'ai rencontré Lux, il m'a aidé, m'a protégé. On est devenus de très bons amis

Je n'ai jamais revu Kimra. Je ne sais pourquoi elle est partie.Je pense que c'est de ma faute. Je ne crois pas que j'étais assez pour elle... » Les derniers mots sortent en sanglots.

Elle essuie ses larmes alors que son regard croise celui de la fille en face. Cette dernière la regarde gravement, elle ne sait quoi dire.

Un long silence règne dans le wagon, quelquefois interrompu par les hoquets de Valrie.

D'un coup, la jeune fille sans nom se lève. Maintenant aux côtés de Valrie, elle l'entoure de ses bras. C'est étrange au départ. Ces deux filles se connaissent depuis à peine une heure, mais face à la tristesse de Valrie, la fille souhaite lui apporter du confort. Elle veut la protéger.

— Ce n'est pas de ta faute. Tu étais assez. Tu seras toujours assez, commence-t'elle.

— Si j'étais assez, pourquoi est-elle partie? réplique Valrie, essayant de se calmer.

— Je ne connais pas ses raisons, mais je te promets que ce n'est pas de ta faute.

Valrie ne répond rien, ne voulant pas s'obstiner.

— Maintenant... qu'est-ce qu'on fait de nous? questionna l'étrangère. Nous sommes impossibles...

Valrie est du même avis. C'est impossible qu'elles existent. Elles sont identiques. Cela laisse donc à déduire qu'elles sont des jumelles. À moins que le Système ait découvert comment cloner les personnes, mais cela est très peu probable.

— Je veux parler à tes parents, déclare la fille de l'Autre Côté.

.   .   .

Les deux filles ont discuté pendant très longtemps. Valrie voulait à tout prix parler au parents de l'autre fille, elle voulait savoir la vérité. Elles ont fait un plan. C'est bien simple : elles vont échanger de place.

Elles ont chacune décrit tous les détails utiles de leur vies. Il faut qu'elles soient crédibles, après tout. Il n'y a pas de place pour l'erreur. Surtout pour Valrie, qui va être terriblement déstabilisée. Elle passe de la ville sans lois, où tout est permis, à la ville où la liberté n'existe pas. Si le Système se doute de ce qui se passe, ce sera la catastrophe.

Elles ont décidé d'échanger pendant trois jours, pour donner le plus de temps à Valrie de découvrir les vérités.

— Et c'est quoi ton chiffre? demande celle sans nom.

—010975. Tu sais, il faudrait te donner un nom, répond Valrie.

— Pourquoi?

— Ça te rendra plus sympathique, dit-elle avec une grimace. Aussi, je veux pouvoir te parler comme tu es réellement une personne, pas comme un chiffre. Tu mérites mieux que ça, tu es une personne.

— Et... Et si je m'appellerais Kimra?

Valrie sourit.

— C'est parfait.

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