8 ~ Jasper

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Avant de commencer : Si vous voyez un problème avec le nom des personnages dites le moi !!

8~ Jasper

Après le travail, je fonce à la pizzéria du quartier pour retrouver Max et Heather. Mon portable sonne. Il n'a pas cessé de la journée. Je ne réponds pas, parce que je sais que Rachel pense qu'un temps partiel dans une épicerie ne peut être considéré comme un vrai travail. Raison pour laquelle elle se permet de m'appeler ou de me déranger.
En ne répondant pas, j'affirme quelque chose. Ce n'est que justice, non ?
Depuis que je lui ai dit que je l'aimais, les choses ont changé. Des changements subtils, certes, mais des changements tout de même. Elle appelle plus souvent. Elle semble plus joyeuse – ce qui, bien évidemment, est une bonne chose –, mais c'est un peu...Étouffant. Ouais, c'est le mot.
Et compte tenu du fait que je me sentais déjà un peu oppressé, cela ne me va pas trop.
J'ai déjà commandé une grande pizza, des gressins et des boissons, et j'attaque ma deuxième part au moment où Max et Ther arrivent. Max sourit jusqu'aux oreilles en se laissant tomber sur la banquette à côté de moi, sa jambe contre la mienne, et soudain, tout ce qui a trait à Rachel me sort dela tête. Ther s'assied en face de nous, perplexe.

- Max a décroché le boulot à la librairie, dit-elle.
Je les regarde tour à tour, surpris.
- Vraiment ? Mais c'est génial ! Je croyais que tu disais que ta responsable était une chieuse ?
- Oh, c'en est une, confirme Max en se penchant contre moi pour prendre une part de pizza.
Mais je suis bien trop mignon pour qu'elle me résiste.
Ther lève les yeux au ciel, se sert à son tour.
- Non. Ce n'est pas ça du tout. Max lui a forcé la main pour qu'elle le laisse faire un essai d'une journée, histoire de lui prouver qu'il était capable de faire le boulot. Au bout du compte, il a enregistré huit commandes spéciales, et les clients l'adorent.
- Parce que je suis mignon, répète Max, la bouche pleine. On a rempli tous les papiers.
J'aurai les mêmes horaires qu'Ther , comme ça je pourrai faire le trajet avec vous.
Je hausse les épaules. C'est génial que Max ait trouvé du travail, et je devrais me réjouir davantage. Si j'avais su que c'était vraiment sérieux pour lui, j'aurais pu lui trouver un poste à l'épicerie.
- Super ! On passera te prendre. Il fait trop froid pour que tu fasses le trajet à pied tous les joursdepuis chez toi.
Instantanément, son sourire s'évanouit. En silence, il prend le temps de mordre dans sa pizza, demastiquer, de déglutir, avant de répondre :
- Non. Ça ne me dérange pas de marcher.
- Pour le moment, insiste Ther. Mais t'es sérieux ? Papa dit que les températures ici dégringolent en hiver. Passer te prendre chez toi, ça ne nous fait pas faire un gros détour.
- J'ai dit non, répète Max d'un ton sans
réplique.
Voyant le choc sur le visage d'Ther, il détourne le regard et s'emploie à retirer les poivrons desa pizza.

- C'est plus simple. Je préfère venir chez vous à pied.
Heather ouvre la bouche, comme si elle s'apprêtait à répliquer. Je lui donne un petit coup de pied sousla table, elle se ravise, sourcils froncés, et baisse les yeux vers son assiette. Manifestement, nous avons touché un point sensible. Pousser Max à en parler risque de produire le contraire de l'effetescompté. Il ne nous regarde même plus. Pour lui, le sujet est clos. Il a les yeux rivés sur la vieille télé accrochée au plafond ; le volume est trop faible pour que nous entendions, mais les sous-titres défilent en bas de l'écran, décousus et incohérents.
Heather et moi, nous nous poussons pour voir. C'est toujours mieux que de fixer la table en mangeantdans un silence gêné. Le journaliste parle d'une famille du New Jersey, assassinée de sang-froid parleur fille, qui a empoisonné au cours du dîner ses parents, son jeune frère et sa petite sœur.
- Comment une ado peut-elle faire une chose pareille ? demande Ther. Bien sûr, ma mère, j'ai parfois envie de lui filer des baffes, mais de là à...
- Solution radicale, commente Max en retirant la croûte de sa pizza – il ne la mange jamais.
Elle ne s'entendait peut-être pas avec ses parents.
- Elle a dix-sept ans, réplique Ther en fixant Max. Même si elle était terriblement malheureuse,
elle n'avait plus longtemps à attendre avant de pouvoir partir de chez elle.
- Dans certains cas, ce n'est pas le problème.
Max lèche la graisse sur ses doigts, lentement, sans cesser de fixer la télévision. Et poursuit :
- Des gens qui assassinent leur conjoint, leurs enfants, leurs parents... Il est clair que quelquechose ne tourne pas rond chez eux. Ils avaient besoin d'aide, et personne n'a été en mesure de leur enapporter.
- Ça n'excuse rien, persiste Ther.
- Bien sûr que non. Je dis juste que... cette fille, elle avait peut-être l'impression de ne pas avoir d'autres solutions. Peut-être que, pour certains, il n'y en a pas. Quand on se sent à ce point piégé,oppressé, brisé... Quand on a l'impression de couler, on peut avoir envie d'entraîner les autres avec soi.
Max finit par poser de nouveau les yeux sur nous. L'agacement qui était là quelques instants plus tôt a disparu, remplacé par une lueur sombre, un vide qui me met mal à l'aise.
- Parfois, conclut-il, les gens sombrent dans le désespoir, et personne ne les entend.
Heather ne répond rien. Je ressens une forte envie de toucher la joue de Max , d'essayer de faire renaître le sourire sur son visage, car en cet instant, son expression m'est insupportable. Ce n'est pas lui. Je n'en fais rien, parce que mon geste risquerait d'être mal interprété. J'ai déjà dit à ma copine que je l'aimais, alors que ce n'est pas le cas ; j'ai en quelque sorte atteint mon quota annuel en matièrede relations foirées.

I was not a happy childOù les histoires vivent. Découvrez maintenant