Confinés

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   Il faisait trop chaud. Comme toujours, il avait mis le chauffage à fond, sans se soucier d'elle. Elle lui avait pourtant dit des milliers de fois qu'elle ne supportait pas la chaleur qu'il s'obstinait à faire régner dans leur petit appartement. Il pouvait bien mettre un pull !

  La jeune femme ôta ses escarpins vernis, les rangea soigneusement dans le meuble prévu à cet effet, et accrocha sa veste grise au porte manteau. Elle soupira de lassitude en se penchant pour saisir son sac, qu'elle avait posé au sol le temps de se dévêtir, et s'engagea dans le couloir qui menait à la cuisine. Il y était toujours quand elle rentrait du travail, déjà au fourneau, à mitonner un délicieux repas.

  La radio jouait une vielle chanson un peu ringarde, qui parlait d'amour éternel, et il portait un tablier avec inscrit dessus les mots « C'est qui le chef ? ». Lorsqu'il se tourna vers elle, la tache de farine sur sa joue droite la fit tiquer, et il lui sourit.

  « Ce soir, c'est tarte au butternut ! Ça te va ? »

  Elle hocha la tête machinalement, vint s'asseoir à une chaise du bar qui séparait la cuisine de la salle à vivre, dos à lui. Et, alors qu'il l'enlaçait en embrassant doucement sa nuque, elle pensa que ce soir elle le quitterait.

  La tarte était excellente, comme tout ce qu'il cuisinait, et elle se resservit trois fois. Le stresse la transformait toujours en goinfre. Elle l'écoutait d'une oreille distraite parler de sa journée, plus concentré sur l'endroit où elle allait bien pouvoir dormir dans les jours qui suivraient. Cette nuit, elle dormirait sur le canapé, comme dans les mauvaises séries, et demain...? Sa sœur ne pourrait pas l'accueillir, il n'y avait pas assez de place chez elle, surtout avec la grand-mère qui s'était invitée sans demander l'avis de personne pour des vacances improvisées à Paris. Et Elena ? Si elle allait dormir chez son amie, elle serait aussi reléguée au canapé, mais c'était toujours mieux que de rester ici. Et puis, ça ne durerait pas plus de deux semaines, le temps qu'elle trouve un appartement à louer... Elena semblait être une bonne solution, et elle était sûre que son amie ne la laisserait pas tomber. Elle pensa ensuite à ce qu'elle allait emmener, car il fallait bien évidemment faire le trie. Si elle emportait avec elle une valise, ça serait le maximum, alors il fallait penser pratique. Déjà, elle était contrainte à prendre au moins trois tailleurs, pour aller travailler. Si possible tous dans les mêmes tons, pour qu'elle n'ai à emporter qu'une seule paire de chaussure, en plus de ses fidèles baskets de sport. Ensuite... à part un pyjama et deux tenues de sport, elle ne savait pas bien quoi ajouter de plus à son paquetage. Son ordinateur, bien sûr, des sous vêtements en quantité suffisante, et sa liseuse.

  Elle se rendit compte qu'elle n'avait besoin de rien d'autre, et ce constat qui aurait dût la soulager lui pesa au contraire. Certes, la taille de ses bagages serait réduite au finale, mais c'était étrange de se dire que, après trois ans de vie commune, elle avait besoin de si peu pour s'enfuir. Elle n'était pas matérielle, mais qu'aucun objet outre le strict nécessaire ne lui semble important à prendre avant de partir la secouait un peu.

  Elle avala sa bouchée et posa sa fourchette. Elle avait assez laissé traîner les choses.

  « Hé.

  Le jeune homme leva ses grands yeux vers elle, quittant du regard la télévision qui crachait les informations avec toujours la même placidité, malgré les mauvaises nouvelles qui affluaient un peu plus chaque jours.

- Hé, je te quitte. Reprit-t-elle dès qu'elle vit qu'elle eu capté l'attention du jeune homme.

  Et, en écho à sa propre voix, le président exposa une mesure qui bouleversa tous ses plans : « ... nos déplacements seront très fortement réduits. »

Recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant