Les contes de fées sont justes. Toujours, les bonnes personnes qui ont triomphé de ces épreuves imposées par le destin avec bonté, sagesse et droiture d'esprit sont récompensées. Oui, c'est en effet ce que chacun se dit, et c'est la raison pour laquelle les contes sont si appréciés par la sagesse populaire. On aime s'en raconter, le soir, blottis sous les couvertures, avec pour seule lumière celle d'une bougie.
Mais si les contes n'étaient, finalement, pas si justes que ce que l'on se plaît à dire ? Les contes, dès le premier mot, jettent les dés du destin et les figent si sûrement que personne ne peut leur échapper. Ma réalité, celle d'un personnage secondaire -un antagoniste même- de conte vous ouvrira peut être les yeux. Et une fois que je vous aurai conté mon histoire, je sais que vous irez dans votre bibliothèque, prendrez vos livres de contes et les relirez plus attentivement. Et vous verrez alors que non, les contes ne sont pas justes, car nous autres, les méchants, n'avons aucune chance d'échapper à notre destin.
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Une fée s'était indéniablement penchée sur le berceau de ma plus jeune sœur. Oui, si Aline était née si Belle, c'était de toute évidence l'œuvre de quelque être magique qui avait, dès le départ, truqué les dés de son destin. J'étais belle, aussi. J'étais belle, mais Aline était Belle. Elle hypnotisait par sa grâce, ses manières et sa bonté. Quand elle lisait, parfois, une mèche de cheveux échappés de son chignon lui tombait sur le visage, et alors le geste qu'elle faisait pour la glisser derrière son oreille était ensorcelant. Nombre de pauvres érudits, après l'avoir vue faire, étaient tombés sous le charme. Simplement grâce à ça.
Constance, la cadette de notre sororité, était faite du même bois que moi. Toutes deux, nous étions belles mais insatisfaites en regardant Aline, car elle éclipsait tout autour d'elle. Nous ne voulions pas faire partie du décors. Nous nous entendions à merveille, aimions les mêmes choses et bavardions des heures durant, une fois nos professeurs partis.
Notre père, un riche et sage marchand, avait décidé de nous éduquer autant que possible. Pour ce faire, il avait engagé les meilleurs précepteurs possible, et nous étudiions tous les jours de longues heures durant, sous la tutelle de Mlle Bonne. Le matin Aline, Constance et moi, et l'après midi, nos trois frères, Jérémie, Alexandre et Pierrot. Ces mâtinées enfermées étaient dures pour moi. En effet, je n'aimais rien tant que l'air frais et le parfum de la rue. Et les mots, devant mes yeux, semblaient se mélanger pour ne former plus qu'une bouillie infâme impossible à déchiffrer.
J'étais benête, je le reconnais sans peine. Cependant, bien que je n'aie pas brillé par mon intelligence, je ne pense pas avoir mérité le sort que je subis. Mais nous y arriverons, soyez patients...
L'intelligence de ma benjamine me faisait enrager : quand j'échouais lamentablement, elle réussissait brillamment, sans un regard pour moi qui ne comprenais pas. Constance, quant à elle, était d'une intelligence tout à fait moyenne, et même s'il lui fallait parfois quelques efforts, elle comprenait aussi. Cependant, si je ne la détestais pas, c'était parce qu'elle se montrait toujours avec moi d'une grande douceur, et, des heures durant après la fin de nos cours, elle restait avec moi pour tenter de m'expliquer ce que nous avions travaillé dans la mâtinée, plutôt que d'aller jouer avec ses amies.
Et, petit à petit, pour m'aider, Constance s'était isolée. Ainsi, lorsque j'atteignis mes seize ans, elle n'avait plus que moi. À cette période, mon père m'autorisa enfin à arrêter les cours, et j'entrais avec grand plaisir dans la vie adulte. Je passais mes mâtinés à prendre le thé chez de nouvelles connaissances, à tisser des liens avec tous les nobles de la ville, ne voulant m'abaissez à passer du temps en compagnie des gens du peuple : je savais parfaitement que, si je voulais devenir une duchesse, une comtesse ou même une marquise, il fallait que je me constitue dès mon plus jeune âge un réseau solide.
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Recueil de textes
Short StoryVoilà des trucs, parfois, des bouts de machins. Ils sont le produit de mes participations à divers défis, des concours d'écriture auxquels je me joins pour m'amuser autant que pour progresser. Parfois, ils ressemblent à peine à une ébauche. Fait à...