5- La mariée.

34 3 0
                                    

Un grand jour, me dira-t-on. Souris, réjouis-toi. Mais y a-t-il pire que d'être forcé à faire des choses dont on n'a pas envie? Si d'aucuns pensent que seules les femmes sont victimes de mariage forcé, je tiens à rectifier une telle erreur. C'est peut-être moins fréquent mais bien d'hommes sont également victimes de cet esclavage.

Elle est assise juste auprès de moi. Cette femme dont j'ignore tout et rien. C'est ma future épouse mais je ne l'ai jamais rencontrée. Je devine sa joie de devenir mon épouse, la future Reine. J'imagine toutes les envieuses qu'elle a dû se mettre sur le dos. Et même sans la connaître, je me vois déjà la protéger. Même si je l'épouse sans envie.

La pièce est sombre. Et dans ce lit king size, nous nous écoutons respirer. La tradition exige que la première nuit s'écoule dans le noir. Car, dixit le vieux sage, nul n'a le droit de voir la nudité d'une vierge. Roi, prince, sage, noble ou sorcier soit-il. Les vierges demeurent sacrées dans nos traditions. Une chose que je peine encore à comprendre. Si être son époux ne m'en donne pas le privilège, quel statut ai-je réellement? Qu'est-ce que je profane en découvrant sa nudité alors qu'elle est encore vierge? Y aurait-il une différence avec celle d'après? Trêve de réflexion.

J'ai pris un engagement que je me dois bien de respecter. Et un mariage se doit d'être consommé.

- Es-tu prête?

- Oui... mon prince.

- En es-tu sûre?

Elle soupire.

- Ai-je réellement le choix? Ne dit-on pas qu'un mariage non consommé est un sacrilège?

- La consommation n'a jamais été définie comme étant nécessaire le jour même.

- Nous savons pourtant que la nuit de noces est la plus importante. C'est elle qui marquera la clôture du mariage. Sans elle, cette cérémonie demeurera à jamais incomplète. Et un mariage incomplet est une malédiction. J'aime être en vie mon prince. J'aime être heureuse de vivre. Mais j'aime encore mieux ne pas préparer mon séjour aux enfers. Car devant les dieux, il ne sera pas question d'avoir été prête ou non. Si je ne voulais pas en arriver là, j'aurais dû m'opposer à cette union depuis le départ. Alors allons-y mon prince, finissons-en.

Elle se lève et je l'entends retirer les étoffes qui la recouvrent. Aucune trace de lumière ne me permet d'aligner les traits de sa silhouette. C'est donc dans cette totale obscurité que nos corps se découvrent.

Pas une seule fois elle n'a agi comme si je la forçais. Au contraire, je la sentais corps et âme avec moi. Et si au départ il y avait un malaise, il n'a pas tardé à débarasser le plancher. Je l'ai aimée avec pour seule arme mon sens du tact. Je ne pouvais distinguer ses expressions et son silence ne m'en disait pas plus. Mais au delà de tout, j'ai su parler à son corps en usant de la délicatesse et de la sensibilité de mon palper.

À présent que nous en avons fini, je peux enfin permettre à mes yeux de la découvrir. N'importe quel autre homme aurait attendu le lendemain pour le faire. Après tout, il n'y a plus rien à faire. Demain ou aujourd'hui, cette femme reste la même. Cependant, je ne peux attendre plus.

À en croire ses mots, elle est loin d'être heureuse. Tout comme moi, elle a été forcée. Et cela peut paraître pervers, mais je suis heureux de constater qu'il existe encore des femmes qui n'en ont rien à faire d'épouser un prince.

Je ne la connais pas. Mais pour moi, cette femme mérite ce qu'il y a de mieux. Parce que après tout, elle est désormais mon épouse.

- Comment te sens-tu?

Son mutisme me pousse à chercher sa main.

- Comment te nommes-tu?

- Ndolo, mon prince.

- C'est un très joli prénom Ndolo.

- Merci... mon prince.

Je me lève et descends précautionneusement du lit.

- Viens.

Sans la moindre résistance, elle obéit. Dans l'obscurité, je parviens à la recouvrir d'un tissage de lin et j'en fais autant pour moi-même.

Il n'y a aucun moyen d'illuminer cette chambre alors je la traîne jusqu'à l'extérieur sans rompre le silence qu'elle se tue à maintenir.

Le clair de lune est magnifique. Et il l'est d'autant plus lorsqu'il s'étale sur la peau de mon épouse. Je n'arrive pas à croire que ce soit la toute première fois que je la rencontre.

Captivé par son regard onyx, je découvre enfin ce que cela fait de pouvoir toucher et voir en même temps. Un pur délice pour mes sens ravivés. J'ai la sensation que je ne tarderai pas à l'aimer d'amour. Qui aurait cru que j'épouserais une femme le jour où je la rencontrerais?

- Tu es une très belle femme Ndolo.

- Le contraire ne t'aurait-il pas étonné? Les hommes de pouvoir ne sont-ils pas censés avoir les plus belles?

- Tu ne dégages pas une once de bonheur Ndolo. Pourquoi avoir accepté cette union?

- Aujourd'hui ma famille a un toit digne du nom. Ni mes frères ni moi ne mourrons de faim. Alors sois sûr que je ne serai pas ingrate. Je serai une bonne épouse, soumise et à l'écoute, respectueuse et respectable. N'est-ce pas ce pour quoi j'ai été choisie? Parce que je suis le prototype parfait de la fille bonne à épouser?

- J'aurais bien dit oui. Mais seulement parce que je n'avais pas prévu ce qui se passe.

- Que se passe-t-il?

- Je crois bien que tu ne me laisses pas indiférent.

- Moi? Ou mon corps?

- Je te laisse le temps de le décourvrir par toi-même. Et crois-moi, tu reviendras répondre à cette question.

- Ainsi soit-il mon prince.

Elle baisse les yeux, puis la tête.

- Est-ce qu'on t'a interdit de me regarder dans les yeux? Tu n'as fait que fuir mon regard depuis.

Elle relève son chef et dirige étrangement son regard évidé dans le mien.

- Tu n'as rien remarqué? Me demande-t-elle.

Je fixe attentivement ses yeux à la recherche d'un indice. Et alors que je commence à saisir le message, mon pouce carresse sa paupière. Un baiser sur son front puis je la cale contre moi. Mais comment aurais-je pu le deviner? Toute la cérémonie durant, un masque et un voile sombre occultaient son visage. Et puis, elle avait été constamment guidée par les filles d'honneur. Comment aurais-je pu deviner que Ndolo est aveugle?

La Première FoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant