Chapitre 17

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Comme Kathy ignorait tout du fonctionnement de cette fameuse Légion, elle décida ne plus intervenir. D'ailleurs, les trois exogènes poursuivaient la discussion en se détournant imperceptiblement d'elle. Ils l'excluaient sans s'en rendre vraiment compte ; elle n'était pas des leurs.

— Un traître ? Impossible ! s'offusqua Gordon. Aucun exogène ne travaillerait pour des gens ayant pour unique but dans la vie de les éliminer.

— Pas de son plein gré, c'est exact, tempéra Lilith. Mais il y a mille et un moyens de convaincre quelqu'un, tu le sais bien. (Elle laissa passer un silence.) Et qui d'autre qu'un membre très haut placé de la Légion aurait pu connaître ton adresse ou ton plan d'évacuation ?

— Voire ta manière de penser et d'agir, insista Christobald. La façon de procéder des anti exogènes, si différente de celle qu'ils emploient d'habitude, nous a tellement surpris qu'ils ont presque réussi à s'enfuir avec Kathy à bord. Je persiste à dire qu'on ne peut pas courir le risque de joindre la Légion...

— Mes contacts sont fiables, mordiable ! s'emporta Gordon.

— Certes, mais...

Kathy les écoutait d'une oreille distraite, tout en méditant sur les révélations qu'elle venait d'encaisser à propos de son passé. Elle avait l'impression d'être une bille de flipper qui rebondissait de manière incontrôlable d'un bumper à l'autre, prenant de la vitesse après chaque impact. Quand cela s'arrêterait-il ? Cela pouvait-il s'arrêter ?

Pourtant, malgré son agitation intérieure, son esprit restait parfaitement clair. Lucide. Elle réfléchissait à toute allure, déterrant des souvenirs lointains autant que proches pour les analyser.

Avec le recul, elle se rappelait de minuscules détails qui auraient dû lui mettre la puce à l'oreille depuis des années : des regards entendus échangés par ses parents, des chuchotements qui s'interrompaient à son approche, des photos d'enfance, sur lesquelles elle se reconnaissait à peine... Leur peur pour elle, constante, même pour des événements mineurs, comme lorsqu'elle leur avait raconté qu'un homme l'avait suivie sur une dizaine de mètres en sortant du cinéma. Un gars bourré qui la trouvait jolie, tout comme quatre autres filles qu'il avait abordées dans la foulée. Il avait finalement trébuché sur ses propres pieds et s'était écrasé dans un empilement de sacs poubelles qui avaient crevé sous son poids, libérant les déchets d'une crèche. Autrement dit une myriade de couches bien pleines. Elle avait voulu les faire rire avec son histoire, ils avaient à peine esquissé un sourire. Quelques jours plus tard, ils avaient exigé qu'elle installe un système de géolocalisation constante sur son téléphone portable. Elle avait capitulé parce que se rebeller n'était pas dans sa nature. Et si cela pouvait les rassurer... À présent, elle comprenait mieux leurs angoisses. Quant à son propre caractère, calme et réfléchi, à ses réactions rarement violentes, elle en venait à se demander ce qui faisait partie d'elle et ce qui lui avait été implanté. Seul le Conseil détenait cette information.

Ce qu'elle savait en revanche, c'est que ses « parents » l'aimaient comme leur fille. La réciproque était vraie, et ce sentiment ne pouvait pas avoir été induit artificiellement. Elle espérait avoir l'occasion de leur dire. Car elle devinait qu'à cette heure précise, ils étaient au courant de ce qui lui était arrivé et qu'ils tremblaient pour elle.

Elle, elle ne tremblait plus.

Elle aurait pourtant dû se sentir de plus en plus secouée par tout ce qu'elle venait d'entendre. Le contraire était en train de se produire. Si chaque révélation déclenchait bien son lot de questionnements, elle éprouvait un détachement grandissant.

— Je suis conditionnée à plusieurs niveaux, murmura-t-elle.

Sa réflexion à voix haute coupa les trois autres dans leur discussion.

Exogènes - Le sang de la lignéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant