Myrrdin

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Lorsque la luminosité et les invectives de Farell réussirent à venir à bout de son sommeil, alors que le soleil se levait à peine, Myrrdin fut prit de l'envie de s'enfouir sous les couvertures.
Mais une main ôta sans pitié les draps de son corps, provoquant une vague de froid qui le fit se recroqueviller en grognant. Farell avait des manières rudes de soldat, et il secoua Myrrdin sans ménagement pour le réveiller, l'incitant à se bouger un peu si il ne voulait pas faire trempette dans les douves. L'adolescent ouvrit les yeux sous la menace et se redressa, les cheveux emmêlés, les paupières encore à moitié clauses.

- Qu'es tu allé faire cette nuit pour te retrouver dans un tel état ? Une fille ? interrogea le Commandant des Gardes d'Estrefol, en soupirant devant la tête que tirait le plus jeune.

Myrrdin nia entre deux baillements, se rinçant le visage à l'eau claire pour se tirer de la torpeur dans laquelle le mettait le manque de sommeil. Farell avait les cheveux attachés en queue de cheval haute, qui retombaient sur ses omoplates, et arborait sa tenue d'entraînement : plastron de cuir, chemise blanche aux manches larges, pantalon bouffant, bottes hautes et gants. Myrrdin plissa le nez : en se fiant à la course du soleil dans le ciel, il devait être aux environs de huit heures. Comment Farell pouvait-il déjà être sur le pied de guerre ?

- Non, juste des cauchemars liés au Duc. Et au champ de bataille à la frontière, répondit finalement l'adolescent en suivant l'exemple de son aîné, faisant de son mieux pour attacher sa tignasse.

Farell hocha la tête en silence, compatissant, et maudissant Argan pour avoir envoyé un enfant au front tout en le laissant lui, soldat aguerri, au château. Il tendit à l'écuyer une longue chemise bleue, un pantalon noir et des gants rouges. Myrrdin boucla sa ceinture par dessus la tunique une fois qu'il eût enfilé le reste, et leva un regard interrogateur vers son aîné.

- Aujourd'hui, Dame Erell te veut à ses côtés pour le conseil. Il te faut être présentable, expliqua laconiquement le Chevalier, tout ce protocole semblant profondément l'ennuyer.

L'adolescent hocha nerveusement la tête. Il avait déjà participé au conseil, avec Argan, mais la Duchesse l'intimidait beaucoup plus que son Parrain. Et surtout, il ne comprenait pas vraiment pourquoi elle avait exigé sa présence. Peut être pour qu'il ne se sente pas écarté, après tout elle avait toujours eu envers lui un comportement très maternel.

- Vous y serez, n'est ce pas Messire Farell ? interrogea l'écuyer, une pointe d'inquiétude transparaissant dans sa voix.

Le Chevalier, qui observait dans un miroir de bronze son avant-bras, entouré d'un bandage que le plus jeune n'avait pas remarqué, se retourna vers Myrrdin et lui adressa un sourire apaisant.

- Oui, bien sûr. Je représente les forces militaires du Duché, aucun conseil ne s'est encore déroulé sans moi, le rassura t-il en abaissant sa manche.

Mais l'adolescent aux cheveux noirs avait eu le temps de voir le sang qui transparaissait à travers les bandes de tissu blanc. Il remarqua aussi que c'était le bras gauche, et donc celui couvert d'un large gant de cuir épais, puisque la main droite de Farell était toujours glisée dans le gantelet de métal de son armure, afin d'alourdir son épée, et de lui permettre d'augmenter sa force et sa vitesse.

- Qu'est ce que cette blessure ? demanda Myrrdin, en arrangeant le tombé de sa chemise, chaussant ses bottes usées.

Le Chevalier tourna la tête vers lui, sourcils un peu froncés, et rattacha ses cheveux sans lui répondre. Farell se caressa le menton, imberbe puisque fraîchement rasé, d'un geste machinal, et finit par lâcher dans un soupir :

- Officiellement, c'est un faucon. En vérité, c'est plutôt un rat du nom de Glen qui a envoyé un paysan pour s'en prendre à moi, confia l'homme en enfilant son gant, d'un geste sûr, cachant toute trace de pansement.

Myrrdin hoqueta, ne s'attendant pas à une telle révélation. Il fit un pas en arrière, retournant dans sa tête les mots de son aîné, plein d'incompréhension.

- Mais... Pourquoi ? questionna t-il, un peu bêtement, ne pouvant dire autre chose, trop stupéfait.

Farell haussa les épaules, comme si ça n'avait pas vraiment d'importance. Il ajusta la tunique froissée de l'adolescent, faisant retomber les plis du vêtement aux bons endroits, puis s'accorda un court temps de réflexion avant d'en conclure :

- Affaires politiques, mon garçon. Parce qu'il n'aime pas le soutien que j'apporte à Dame Erell, qu'il ne m'a sans doute pas pardonné sa dernière humiliation devant toi, et sûrement pour tenter de m'effrayer en montrant qu'il a les moyens de soulever ces pauvres gars contre Argan. Glen voulait juste rappeler son existence... Comme si on pouvait l'oublier, grogna finalement le soldat.

Myrrdin hocha silencieusement la tête. Il était inquiet, mais Farell partit de la pièce, poussant la lourde porte de bois, pour signifier que la discussion était close, et qu'ils allaient finir par être en retard, à traîner ainsi.

- Pourquoi ne pas vous soigner plus proprement ? La gangrène... osa intervenir l'adolescent, avant de se taire devant les yeux si noirs de son mentor qui le fixaient avec colère.

Le garçon se fit tout petit, baissant la tête pour masquer son visage derrière un rideau de cheveux sombres. Il accéléra pour suivre les grandes foulées de Farell, qui, contrarié, se déplaçait encore plus rapidement que d'ordinaire. Le Chevalier arriva devant les grandes portes de la salle du conseil, et tira son épée pour l'introduire dans la serrure démesurée. Cependant, la main sur le pommeau, il n'actionna pas le mécanisme et posa la paume sur l'épaule de Myrrdin :

- Pas un mot à Dame Seren sur cette éraflure, compris ? ordonna t-il plus qu'il ne demanda, ses iris noirs ancrés dans ceux de l'Écuyer.

- ... Oui, Messire Farell. Parole d'honneur, chuchota Myrrdin, se mordant l'intérieur de la joue.

Il regarda ses pieds en entrant dans la salle, n'osant lever les yeux pour croiser ceux d'Erell.

Il ne voulait pas y lire qu'Estrefol tel qu'il le connaissait allait tomber.

Il ne voulait pas y lire qu'Estrefol tel qu'il le connaissait allait tomber

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Fearless KnightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant