Les légendes de Feuilles Violettes

2- Lunettes féroces

Jesse et Neil enfourchèrent leurs chevaux de métal, de majestueuses bêtes à deux roues communément appelées vélos, et quittèrent la maison des Yearsley à toute vitesse. Les garçons étaient en direction de leur cachette préférée; le dépotoir aux merveilles. Par contre, avant de s'y rendre, ils devaient aller chercher leurs amis Stewart et Ezra, car les garçons s'étaient fait la promesse, le jour où ils avaient fait la découverte du dépotoir, de toujours s'y rendre les quatre ensemble, sans aucune exception.

C'était une chaude matinée de juin et le soleil réchauffait de ses doux rayons le village de Feuilles Violettes. À ce temps-ci de l'année, tout le village était en fleurs, et c'était d'une beauté à en couper le souffle. La rosée matinale sur les fleurs les faisait resplendir comme des diamants.

Les garçons pédalèrent sur la rue principale, une longue rue bourdonnante de vie. Celle-ci semblait tout droit sortie d'un conte de fée, avec ses petites boutiques et ses bistros aux couleurs pastels arborant une architecture à l'influence pittoresques. Chaque recoin de la rue principale était décoré de fleurs d'été de toutes les couleurs. Il y en avait absolument partout, que ce soit devant les boutiques, sur les balcons, dans les fenêtres où même de chaque coté de la route. Les parfums floraux se mélangeaient parfaitement aux délectables odeurs venant du marché et des restaurants sur la rue. Plusieurs passants, faisant quelques emplettes, saluèrent les jeunes hommes à vélo, et ils leur souhaitèrent une bonne journée en retour. Les garçons ne pouvaient s'empêcher de sourire; tout ceci leur était tellement nostalgique. Ils étaient passés tant de fois à vélo sur cette rue, et avaient senti tant de fois l'enivrant parfum des pétunias mélangé à celui des brioches tout juste sorties du four. Le soleil leur réchauffant les joues, tout plein de beaux souvenirs resurgissaient dans leur mémoire. C'était le paradis.

Arrivés à la fin de la rue principale, Jesse et Neil se retrouvèrent au centre du village. Devant eux,  un lac à l'eau clair resplendissait sous les rayons du soleil. Le village de Feuilles Violettes avait été construit autour de celui-ci, qui, autrefois, servait surtout pour la pêche. Aujourd'hui, plusieurs petits poissons y proliféraient encore, mais le lac était devenu un emblème plutôt qu'une nécessité. Il n'était pas très profond, mais on y retrouvait principalement de la vase et des algues au fond, ce qui dissuadait les baigneurs en été. Toutefois, amarrés sur un long quai décoré de fleurs,  quelques pédalos et petits bateaux à rame, appartenant à certaines familles du village, restaient à disposition pour se promener sur le lac. Le grand-père de Jesse, lorsqu'il était maire, avait interdit les gros bateaux à moteur afin de conserver un environnement sain pour les écosystèmes, mais le jeune garçon savait que c'était surtout pour faire taire les nombreuses plaintes à propos du bruit que faisaient ceux-ci.

Les garçons contournèrent le lac et se retrouvèrent dans une marré de maisons. C'était là où la plupart des habitants du village résidaient, comme les familles de Neil, Stewart et Ezra. Jesse, lui, contrairement à ses amis, habitait à l'opposé du village, tout près de la mairie où travaillait son père. Ce n'était pas seulement l'emplacement de sa maison qui était différent; le style de celle-ci l'était tout autant. Alors que le jeune homme vivait dans un grand manoir spacieux, ses amis se contentaient de maisons aux mêmes allures pittoresques que les boutiques sur la rue principale. Toutefois, ils n'étaient pas pauvres. La demeure des Yearsley était extravagante uniquement parce que les habitants du village avaient tous personnellement investi dans sa construction, en signe de gratitude et de remerciement. Jesse leur en était extrêmement reconnaissant, et c'est pourquoi le garçon insistait pour partager, à son tour, une partie de son argent de poche avec la communauté. (C'était peu, mais c'était le seul type argent auxquelles il avait accès).

Arrivés devant une mignonne petite maison blanche, les jeunes garçons ne prirent même pas la peine de stationner leurs vélos. Ils les jetèrent rapidement au sol et allèrent frapper à la porte de la maison. Une femme ouvrit.