Les Hommes ne savent que ce qu'ils veulent voir

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Une jeune fille était attachée à une chaise, les mains derrière le dos. Cette jeune fille possédait une longue et ondulée chevelure couleur miel ainsi que des yeux énigmatiques marrons clairs; son corps était fin et élancé: elle était magnifique.
Cette fille, c'était moi. Moi. Non. Oui. Je n'en rajoute pas, ce n'est pas la peine; ça ne servirait à rien.
J'essayai de desserrer les liens qui m'entravaient les poignées. Mais celui qui les avait fait était doué, je ne parvins qu'à les resserrer. Je souris quand même. Une femme entra dans la salle d'interrogatoire. Elle s'assit en face de moi et me regarda. Elle devait avoir la quarantaine.
Elle me dit alors:
- Bonjour, je vais rentrer dans le vif du sujet: qui es-tu ?
Je me murai dans le silence.
- Comment t'appelles-tu ?
Silence.
- D'accord, tu n'es pas bavarde.
Je l'observai avec attention; elle avait de courts cheveux châtains foncés, des yeux noisettes et des formes qui devaient largement satisfaire son mari. C'était une belle femme, à ne pas en douter. Je décidai de sortir de mon mutisme:
- Et vous, qui êtes-vous ?
La femme releva la tête des dossiers qu'elle était en train de feuilleter.
- Tiens, tu parles ?
- Une personne ne parle que si l'envie l'en prend; personne n'est muet car seul le désir peut changer les choses.
- Tu es très philosophe, quel âge as-tu ?
- J'ai moi-même posé une question, j'aimerais une réponse.
- Je me nomme Cécile, j'ai quarante-deux ans et je travaille pour la police.
J'avais raison; la quarantaine.
- Et donc, quel âge as-tu ? répéta Cécile.
- Secret professionnel.
- Tu fais donc partie d'une secte ?
- Pourquoi agirais-je pour le compte de plusieurs personnes ?
- Tu es...réservée, donc.
Elle nota quelques mots sur un carnet.
- Si c'est pour noter tous mes faits et gestes, je ne dirais plus un mot.
Cécile se figea dans son geste.
- Très bien, elle reposa son stylo, je ne note plus rien.
Je penchai la tête et mes cheveux firent un léger balancier.
- Pourquoi t'as ton attaché ?
- Vous savez, les hommes ont toujours eus peur de l'Inconnu. Ils se sont bâtis des murs infranchissables, des forteresses imprenables; ils avaient peur, la peur domine l'humanité depuis la nuit des temps. Et moi, j'ai voulu voir "derrière" les murailles; l'humanité à prit peur, elle avait peur du nouveau. Elle voulait rester dans le connu et le déjà explorée. Mais moi, moi je me suis hissée par-dessus le mur et j'ai voulu voir à quoi ressemblait le monde que les Hommes avaient bannis par peur du danger. On m'a attaché parce qu'on a peur de ce que je suis, car mon voyage de l'autre côté m'a changé, à jamais.
- On te prend un peu comme un virus, n'est-ce-pas ?
- Exactement, je suis le virus qui va changer le monde.
Je commençai à apprécier Cécile à sa juste valeur.
- Et ce mur, tu l'a franchi seule ?
- Peut-être.
- Tu ne veux vraiment rien me dire ? se vexa Cécile.
- Quand on compte sur les autres, ils vous abandonnent et souvent à cause de la peur; c'est toujours à cause de la peur, depuis des millénaires.
- Donc tu as fais ça seule, conclut Cécile.
- Vous savez, vous me faites penser à ma tante Tamara; elle sautait tout de suite aux conclusions, n'analysant jamais les détails infimes mais cependant importants.
- Qu'est-elle devenue ?
- Elle est morte.
Je vis Cécile tressaillir, je souris de toutes mes dents.
- J'ai vu que tu avais beaucoup d'idées sur le monde, enchaîna Cécile, comment me parlerais-tu des hommes, en version abrégée ?
- En une phrase ?
- Oui.
- Les hommes ne savent que ce qu'ils veulent voir.
- C'est-à-dire...
- Ils ne regardent que l'extérieur et définissent si c'est dangereux ou pas.
- C'est ce qu'ils ont fait avec toi ? questionna la femme.
- Oui, c'est ce qu'ils font toujours; car ils ne savent pas voir avec leurs yeux. La vue est quelque chose de très...étrange. Personne ne voit de la même façon, mais les Hommes eux, voient seulement ce qu'ils ont envie de voir, ce qui ne leur causera aucun ennui.
- Mais toi, tu es humaine; alors tu vois comme tout le monde.
- Voilà, j'avais raison.
- Comment ça ?
- Regarder mes yeux, regardez-les vraiment.
Cécile se pencha au-dessus de la table de bois qui nous séparaient. Après un cours instant, elle recula, terrifiée.
- Vous voyez, vous avez peur de l'Inconnu.
- Mais... Tes yeux !
- Dites haut et fort ce que vous avez vu, pour toutes les personnes qui nous épient en ce moment.
Cécile me regarda avec étonnement.
- Eh oui, vous croyez que je n'ai pas remarqué les vitres dissimulées par les miroirs et les bouches d'aération qui sont en faites des micros ?
- Comment as-tu pus voir ça ?
- Dites-leur comment sont mes yeux.
Cécile reprit son souffle avant de s'exclamer:
- Ses yeux, on dirait des rouages d'horloge; des rouages qui tournent, un vers la droite, un vers la gauche.
Je perçus des exclamations d'horreur derrière les cloisons.
- Tu es différente, n'est-ce-pas ? Si tu voulais tu pourrais te défaire de tes liens, hein ? Mais pourquoi ne le fais-tu pas ? Cela reste obscur.
- Vous avez raison, je pourrais m'échapper. Mais, au fond, quiconque veut échapper à tout étau se resserrant autour de soi peut s'enfuir. Ce n'est qu'une question de volonté. Quiconque demande quelque chose l'obtient, il faut juste vouloir. Mais la peur maintient toujours les hommes en laisse, voilà à quoi servent les lois.
- Arrête de parler version philo ! s'énerva Cécile.
- Je parle comme je veux.
- Non, ici c'est moi qui fait les lois.
- Vous commencer à me taper sur les nerfs.
Je l'a regardai intensément et, tout à coup, les chaînes, menottes et cordes qui me retenaient en otage disparurent. Je me levai, tournai et retournai mes poignées endoloris. Je me dirigeai d'un pas assuré vers la porte, et avant que je ne disparaisse, Cécile me posa une énième question:
- Comment t'appelles-tu ?
- Vérity.
Et je disparu hors de sa vue, m'enfuyant dans les couloirs tandis que des alarmes que je n'entendaient qu'en sourdine beuglaient.
Personne ne retient Vérity contre son gré.
Personne.

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