Origines

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J'avais un nœud dans l'estomac. Impossible d'avaler quoi que ce soit. Nous nous approchions de notre destination et mon estomac faisait des loopings, se tordait et rejetait toutes formes de nourritures. J'allai vomir toutes les cinq minutes et ma tête jouait au manège infernal.
- Stressée ? questionna Sharper.
- Dégage.
Impossible d'être avec lui pendant que je rejetai mes boyaux. Un nouveau filet de bile s'échappa de mes lèvres craquelées. Le goût de vomi dans ma bouche était insupportable; j'avalai donc une longue rasade d'eau fraîche. Mon estomac bouillonna de fureur à la vue de cette nourriture.
Je repensai à ma raison d'être là. Au départ, j'avais une mission. Mais finalement, c'était par obligation que je rentrais à la "maison". Je soupirai. Je pouvais faire les deux. Mais bien sûr ! Je pouvais mener à bien ma mission pendant mon séjour là-bas ! C'était ça la solution ! J'en fus soulagée. Je souris. Ouf.
- Nous y serons dans un quart d'heure, me prévînt James qui avait réapparut.
- Mais... Et l'Obstacle ?
J'avais l'impression d'être une fillette à qui on venait de dire que le Père Noël ne viendrait peut-être pas cette année.
- Pas de soucis pour ça, on va juste passer au travers.
Mais j'avais quand même peur.
- Le voici ! cria James en montrant un étrange nuage vert.
L'Obstacle, aussi nommé l'Oublificateur, avait pour but de repousser les visites non-désirées. Quand on n'était pas les bienvenus, l'Obstacle nous faisait tout oublier. Et on passait sans se rappeler de ce moment. Cela me donnait des frissons rien que d'y penser.
Finalement, nous pénétrâmes dans l'étrange nuage. Quand nous fûmes à l'intérieur, nous nous retrouvâmes coupé du reste du monde. Il n'y avait plus que notre embarcation et la fumée verte. Plus rien ne comptait. Plus rien n'"existait". Plus personne ne pourrait nous venir en aide. Nous étions livrés à nous même. Nous étions désormais obligés d'aller de l'avant. Ne pas penser à avant.
J'inspirai profondément, au bord de la crise de nerfs. Il fallait que j'oublie tout. Ne pas avoir n'y remords, n'y regrets. Sinon j'étais perdue. Mais depuis le temps, j'avais l'habitude. Il fallait que je m'y fasse. Depuis tout ce temps s'aurais du être naturel mais non. Et mon esprit me disais que ce ne serait jamais naturel ou même simple.
Et je me sentais tellement seule ! Seule contre le monde, seule contre l'univers ! Comment s'opposer au lois de la Nature ?! Tout était si compliqué ! Mais qui donc à dit que la vie était facile, simple et douce ?!
Je paniquai. Je paniquai vraiment. Comme à chaque fois.
Dans le nuage vert, des êtres de fumée tendaient leurs bras dans ma direction et je devais crier pour qu'ils s'écartent. C'était les êtres de l'oublie. Les soldats de l'Oublificateur. Brrrr.... Cette pensée me fit froid dans le dos. Je "devais" oublier. Mais je ne voulais pas oublier. Je ne pouvais m'y résoudre. Pas encore une fois.
- Vérity, nous y sommes, m'informa James.
Je regardai le paysage qui apparaissait dans mon champ de vision. C'était une ville, la plus grande et la plus belle ville jamais construite. D'une pureté incroyable, cette ville était construite sur plusieurs "étages". D'immenses tours s'élevant jusqu'au ciel reflétaient sa grandeur et les magnifiques bateaux qui mouillaient l'encre au port témoignaient de sa richesse. Mais ici, hommes et femmes semblaient sortir d'un autre temps. Ils étaient vêtus de tuniques aux milles couleurs et portaient des sandales de cuir aux pieds. Alors que la technologie de la ville était plus brillante que celle des pays occidentaux, les habitants étaient restés à l'époque où Rome était la ville la plus influente des terres connues. Ce décalage de temps me fit sourire, comme à chaque fois.
- Quelle splendeur ! s'enthousiasma James, quelle grandeur !
- Oui, c'est magnifique.
- Comme toujours, la ville brille de milles feux et sait se démarquer des cités environnantes.
- Oui, répétai-je, il en a toujours été ainsi.
- Et je pris le grand Poseidon de faire qu'il en soit ainsi pour l'éternité.
- Espérons que Poseidon entendra ta noble et juste prière.
- Espérons, répéta James.
Nous accostâmes peu après. Quand j'eus mis pied à terre, une bouffée de joie m'envahit. Je foulai de nouveau la terre de mes ancêtres, ma terre de naissance.
- Où les Anciens nous attendent-ils ?
- Comme toujours, à la Tour de Glace.
La Tour de Glace. L'endroit où tout allait se jouer. J'allais devoir abattre toutes les cartes en ma faveur et la jouer très finement. Pour que l'irréparable ne se produise jamais. Je respirai fort. Tellement fort que j'avais l'impression de faire trembler les bâtisses. Je ne pouvais plus penser correctement, mon cerveau était congelé. James dû prendre ma main et me tirer jusqu'à la tour pour que je daigne avancer. Je tremblai et transpirai à grosses gouttes.
- Tu n'as pas l'air dans ton assiette, fit remarquer James.
- Comment l'être quant-on sait ce qui m'attend ? dis-je d'une voix tremblante.
- Respire, me conseilla l'homme.
Je ricanai, manquant de m'étouffer. Je ne faisais que ça, respirer. Et ça ne marchais pas.
Quand nous fûmes au pied de l'imposante tour, mon sang se glaça. Deux hommes en costards-cravates, lunettes noires et oreillettes gardaient l'entrée. Ils nous arrêtèrent. James sortit un badge de sa poche et le brandit sous le nez de la masse de muscle. Ce dernier hocha imperceptiblement la tête et nous laissa passer, non-sans me regarder de travers. J'aurais adorer qu'ils nous jettent dehors, coup de pied au cul en prime. Au moins n'aurais je pas eus besoin de paniquer à ce point. Mais ils restèrent de marbre. Nous pénétrâmes dans un hall lumineux et épuré du sol au plafond. À part un escalier de marbre et une superbe fontaine de cristal au centre de la pièce, rien ne venait apporter une touche de personnalité à cette pièce froide. Un autre garde -supposai-je- patientait au pied de l'escalier et nous intima de le suivre quand nous fûmes à sa hauteur. Mon cœur battait à un rythme si effréné que je posai la main dessus de peur qu'il ne perce ma poitrine. Arrivés au palier où deux portes et un ascenseur se côtoyaient, James posa une main rassurante sur mon épaule. D'un geste machinal, je la retirait vivement. Nous pénétrâmes dans l'ascenseur qui diffusait une petit musique d'ambiance à peine audible, ce qui amplifia les battements de mon cœur pour-on-ne sait-qu'elle-raison. J'eus presque peur que les deux hommes ne l'entende. Apparemment, le silence était complet pour eux. Et au moment de sortir de cette boîte de conserve -car c'est ainsi que je nommais ces choses- je me remémorais tous les plus beaux moments de ma vie en un tourbillon d'images rassurantes. Quand une immense porte en chêne massif s'ouvrit devant nous, toutes ses images s'évaporèrent et le peu de courage que j'avais recouvré s'enfui à toutes jambes. Ils étaient tous là. Les sept Anciens se trouvaient assis autour d'une grande table en "U" et papotaient entre eux. Comme pour me dénoncer coupable, au milieu de ce tohubohu se trouvait une minuscule table avec une chaise de bois; ma place. En me voyant, les Anciens se turent et me dévisagèrent. Que voyaient-ils ? Une jeune fille aux longs cheveux emmêlés couleur miel, aux yeux marrons clairs qui ne cessaient de parcourir la salle à tort et travers et par dessus tout, voyaient-ils à qu'elle point cette fillette était perdue ?! Le plus âgé qui présidait le Conseil se leva et d'un geste courtois, m'invita à prendre place sur la chaise ridicule. Pourtant je ne fis pas état de mon ressenti et m'assis poliment. James fut relégué dans un coin de la salle, dans l'ombre comme à son habitude. Je savais ce qui m'attendais et pourtant, j'avais une peur panique des événements qui allaient suivre. Mes mains étaient crispées sur la table et je me mordis tant la lèvre inférieure qu'un filet de sang au goût métallique s'écoula dans ma bouche. La tension était maîtresse de la pièce. Tous la ressentait, moi la première. L'Ancien qui s'était levé, et que je savais qu'il se nomma Léopold, prit alors la parole sous le regard entendu de ses collègues:
- Bienvenue, Vérity, j'espère que la route fut bonne.
J'ouvris la bouche pour répondre mais il continua sur sa lancée, ne m'accordant pas même un regard.
- Tu dois te demander pourquoi ton retour est si prématuré, dit-il sans cesser de passer son regard sur tous ses collègues, la réponse est simple: nous ne continuerons pas.
Je le regardai en ouvrant des yeux comme des soucoupes, complètement éberluée. Aurai-je mal entendu ? Nous ne continuerons pas ?! Je ne pouvais y croire. Alors mon esprit fit apparaître une question qui me tourmentait lourdement:
- Mais... Vous disiez connaître un remède ?
- Oh, nous l'avons trouvé ! sourit l'Ancien en me jetant enfin un regard.
- Qui est...?
- Il faut arrêter, le voici le remède.
- Mais... Et vos recherches ?!
- Les hommes ne changerons jamais, nous n'avons plus besoin de tes services.
- Moi qui comptais mettre fin à mes jours... Voilà qui revient au même.
- Tu as essayé de reprendre l'humanité en main trois fois, ces trois fois ont été vaines.
- Alors la voilà votre solution miracle ?! Me faire tout arrêter !?
- Oui, c'est cela.
- C'est une blague !? Je comptais vous faire un compte rendu détaillé, et vous demander d'aller plus loin... Et vous me dites de tout arrêter !?
- Nous n'allons pas y aller par quatre chemins, répondit posément un des Anciens, tu as tout vu, tout entendu, tout essayé de refaire et ça n'a pas marché. Au final, tu t'es sacrifiée pour une cause perdue.
- Vous disiez qu'elle était noble et maintenant vous la trouvez vaine !?
- On ne changera pas le monde, Poseidon nous l'a fait comprendre.
- Il n'a rien à voir la-dedans ! J'ai sacrifié plus que ma vie pour vous ! Pour votre cause à la noix !
- Cela nous a servis, nous savons désormais que refaire une humanité parfaite ou même un peu mieux est impossible car les communautés y mettent trop de mauvaises fois et ne veulent que pouvoir et richesse.
- O.K. J'ai compris, dis-je au final, dans toute cette mascarade, je n'ai été qu'un jouet, un pion, un pantin dans vos mains ! Mais vous avez raison de vouloir arrêter, car de toutes façons, vous êtes trop égoïstes à penser à votre vision du monde parfait en vous tournant les pouces pendant que moi, je fais le sale boulot.
Je m'attendais à ce qu'ils en restent bouche bée mais pas du tout, un Anciens intervint:
- Tu n'es pas un pion, tu as ton importance...
Je le regardai avec mépris. Il ne pensait nullement que j'avais mon importance. Et il savait que je le savais. Sauf que ça n'avait aucune incidence sur son comportement.
- Trois fois que j'y suis retournée, trois fois que j'ai essayé de faire changer le monde, et trois fois qui n'ont servi à rien.
Je me levai et crachai. Ces hommes me dégoûtaient profondément. Je poursuivis sur ma lancée:
- Mais j'ai une confidence à vous faire; vous vous souvenez de Platon ? Celui qui disait avoir vu l'Atlantide !? Comment croyez-vous qu'il l'ai décrit aussi fidèlement ! Comment croyez-vous qu'il eut été au courant de son existence ?! Comment à-t-il réussi à la situer avec autant de précision ?! Il ne savait pas ça, pas avant ma venue.
Les Anciens me regardèrent les yeux grands ouverts, éberlués.
- Tu... Tu n'as pas pu...
Je souris d'un sourire cruel et carnassier. J'avais enfin leur attention.
- Si, je l'ai fais. Je vous ai trahi comme vous m'avez trahi.
- Tu as délibérément avoué notre secret !?
- Oui, mais comme vous l'aurez remarqué, peu de personnes ont tenu compte de ses paroles.
- Et heureusement ! Tu imagines les conséquences de tes actes !? Nous sommes tous en danger à cause de toi depuis des siècles et des siècles !
- Peut-être sauf que j'en suis ravie, crachai-je.
- Comment peux-tu être aussi peu reconnaissante envers ta patrie !? explosa le plus vieux.
- J'en ai le droit pour avoir subi toutes vos exigences envers le monde ! Je ne suis pas insensible, malgré vos expériences douteuses sur ma personne.
- Ces opérations et expériences étaient nécessaire pour le bon déroulement des choses ! s'insurgea le vieux.
- Ah oui ? ricanai je, me transformer en créature non-humaine était obligatoire !? Je ne suis pas un rat de laboratoire sur lequel on effectue toutes ses envies délirantes !
- Tu es toujours vivante, nous avons donc réussi.
J'éclatai d'un rire sans joie.
- Moi, vivante !? Je ne suis plus vivante depuis que vous m'avez envoyé là-bas.
- Bien sûr que si, tu es aussi vivante que nous !
- Mensonge ! criai-je, et vous le savez pertinemment.
Je retins les larmes qui brûlaient mes paupières. Je repensai au Bouleversement Intérieur. C'était moi, qui avait permis tout ça. Sans moi, jamais ils n'auraient réussi. Les souvenirs affluèrent et mes yeux s'embuèrent.

Rien Que La VéritéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant