Jean et des Carottes

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“Yanis !”

Ma carotte retomba platement dans mon assiette, je la fixai avec déception et soupirai avant de la reprendre sur ma fourchette.

“Oula toi ça va pas.”

J’avalai ma bouchée bruyamment et relevai mes yeux vers Timéo assis en face de moi.

“Nan ça va, fatigué. Toujours le rythme de vacances.”

Il n’avait pas l’air convaincu mais hocha lentement la tête.

“Ok. Ok si tu le dis.”

Je forçai un rire.

“Mais oui je te dis.” 

Mes carottes étaient imbibées d’eau. D’une certaine façon j’avais l’impression que moi aussi.

Nous étions assis à la table la plus isolée, la plus petite, la moins visible. Comme tous les midis. Si elle n’était pas prise d'assaut c'était car il y sentait très mauvais à cause de la proximité avec je ne sais quel tuyau et que le plafond s'émiettait dans nos assiettes. L'année dernière je voulais absolument qu’on y soit tous les midis, alors maintenant, je supposais que c’était devenu une habitude, comme tant d’autres choses. Dire que je n’aimerais pas alterner entre avec d’autres tables serait mentir, mais Timéo aimait la routine. Et puis il disait qu’il aimait être dans des endroits dangereux où rien n’engendrait des réactions allergiques. Alors nous étions là, moi avec mes carottes et mon cordon bleu et lui avec le repas que lui préparait sa mère tous les matins avant de partir travailler à l'hôpital, quelques choses qui ne le ferait pas gonfler, pas s’asphyxier, pas vomir. 

“Parfois je me dis que je te perds.”

Je haussai un sourcil moqueur.

“Sentimental maintenant ?”

Il ricana.

“Pas dans ce sens là. Je veux dire tu sais toute mes histoires avec Amanda, tu connais ma situation familiale, tu sais que j’ai déjà fait pipi dans des ronces-”

“On était ensemble.”

“Chut, laisse moi finir. Ce que je veux dire, c’est que tu sais faire une liste de tout ce que je peux manger ou non, de tout ce que je peux toucher, je suis pas compliqué, autrement que dans mes allergies je veux dire. Je sais que la plupart du temps tu sais exactement ce que je pense. Moi quand tu me parles ça va, mais t’as des moments, comme là, c’est comme si tu disparaissais, et là je sais pas trop quoi faire.”

“Ca a toujours été comme ça, je comprends pas ce que tu veux dire.”

“Je veux juste dire que t’es pas mon psy perso, t’es mon meilleur pote, alors ça va pas que dans un sens, tu peux me parler aussi si ça va pas.”

“C’est gentil, mais je te promets que je vais bien.”

“Je te crois, je te dis juste… Pour plus tard.”

“Ok… Ouais d’accord… Merci.”

Il sourit mais son sourire n’atteignit pas ses yeux. Ses cheveux châtains clair retombaient mollement devant ses yeux bleus, même si dans le sombre réfectoire ils semblaient plus gris que bleus. 

“Bon appétit jeunes hommes.”

Je quittai directement mon ami des yeux à l’entente de la voix familière.

“Bon appétit Monsieur!”

Il était déjà plus loin mais il se retourna tout de même en souriant dans ma direction, et son sourire atteignait ses yeux. 

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