- Alors, me demande-t-il après un moment, c'est vrai que t'as vu ma...
Il désigne son entrejambe et masque sa gêne sous un faux sourire.
- Bien sûr que non!
Il se détend et j'éclate de rire. Mais mon rire se fige lorsque j'entends les grognements caractéristiques d'un cannibale. Le premier depuis plusieurs jours.
Comme à mon habitude, une vague de peur m'envahit et j'ai envie de m'enfuir en courant. La sensation de la main de Zach dans la mienne me revient en mémoire, et une envie irrépressible s'insinue en moi.
Zach, lui, est tendu comme un arc près de moi et se met déjà en route pour se débarrasser du mordeur d'un coup de couteau dans l'oeil. Il se retourne vers moi et lève un sourcil.
- Pas très efficace ta technique d'attaque, dit-il pour me taquiner. T'as pas bougé d'un centimètre.
Sa remarque me pic au vif.
- Excuse-moi de ne pas foncer dans le tas, dis-je en levant les yeux au ciel. Tout le monde n'a pas eu un père militaire. Tu l'as dit toi-même, je sais pas me servir d'un flingue et pas beaucoup plus d'un couteau.
Il m'observe quelques secondes avant de répondre:
- Alors je vais t'apprendre.
On passe les deux heures qui suivent à arpenter le quartier, sans rencontrer un seul mordeur. Zach ne boîte presque plus et marche maintenant à la même vitesse que moi, ce qui me rassure sur nos chances de survies. Peut-être que ses aptitudes seront suffisantes pour équilibrer ma nullitude? Il a beau dire qu'il va m'apprendre, j'ai toujours été mauvaise en travaux pratique, et archi mauvaise en sport.
- Il est temps de faire une pause, tu crois pas? me demande Zach.
Avant que j'aie répondu, il jette son sac à dos par terre et m'ordonne de sortir mon couteau. Pendant une bonne heure, il me montre des techniques pour poignarder plus efficacement. Mon avant-bras droit me brûle et j'ai l'impression de ne pas progresser. Quand je n'en peux plus, je demande à faire une pause et on s'assoit un moment à l'ombre d'un arbre.
- Te décourage pas, me dit Zach. C'est difficile de te rendre compte de tes progrès sans essayer en vrai...
- Je t'arrête tout de suite, je m'exclame. Plus il y a de distance entre les cannibales et moi, mieux c'est.
Il lève les yeux au ciel, l'air amusé, et me propose d'y retourner, en s'occupant cette fois-ci de l'utilisation d'une arme à feu. Il me montre comment tenir le pistolet, où placer mes doigts et à quoi correspond chaque partie de l'arme. Puis il s'attarde sur ma position.
- Prends bien appui sur tes jambes, il faut qu'elles soient fermement encrées dans le sol.
Il me montre comment me tenir et je l'imite du mieux que je peux. Il se place derrière moi et me pousse légèrement en avant. Je bouge à peine.
- Ça c'est bien. Tiens toi bien droite, durcis ton ventre et tes bras.
Je me change en statue et sens Zach se rapprocher de mon dos. Il passe ses bras devant moi puis effleure mon ventre et mes bras. Son contact m'électrise et je rougis comme jamais. Heureusement qu'il ne voit pas mon visage.
Zach se racle la gorge puis me montre comment viser. Je m'entraîne dans le vide, en prétendant qu'il y a une cible devant moi. Au bout d'un moment interminable, Zach prend enfin la parole:
- OK, je crois que t'es prête à tirer.
- Quoi? je m'exclame. Pour de vrai?
- Reste comme tu es, continue-t-il, et essaies d'être calme. Regarde bien l'endroit que tu veux atteindre, comme je t'ai montré.
Il se place derrière moi et s'assure que ma position est bonne. Son souffle sur ma nuque ne m'aide pas à me concentrer. Ni à me calmer. Je vise du mieux que je peux un ballon de foot abandonné à une dizaine de mètres en face de nous. Sans le quitter des yeux, je prends une grande inspiration et tire.
Le bruit est assourdissant, beaucoup plus fort que ce que je pensais. Et le coup de feu sort avec une telle force que j'en ai presque mal aux bras.
- Alors comme ça, tu vise comme une merde?
Je regarde le ballon, qui n'a absolument pas bougé.
- Tu te fous de moi? Je suis loin d'avoir atteint ma cible.
Zach se met à rire en voyant la déception sur mon visage et dans ma voix.
- Fais pas cette tête, t'étais pas loin du tout, c'est déjà bien.
Il dit sûrement ça uniquement pour me rassurer. Je m'entraîne encore deux fois, sans réussir à faire mieux, avant de décider que nous n'avons plus assez de munitions à gaspiller entre mes mains maladroites.
À la fin de mon troisième essai, des grognements se font entendre derrière moi. Zach et moi nous retournons en même temps: un zombie, sans doute attiré par les coups de feu, avance vers nous, traînant un pied derrière lui. Il a un couteau planté dans l'épaule et une odeur nauséabonde s'en dégage. Comme pour tous les mordeurs, d'ailleurs.
Zach s'avance vers lui, un couteau à la main. Le zombie redouble d'efforts pour se traîner vers lui et tend les bras en avant. Mais à mis chemin, à ma grande surprise, Zach s'arrête puis retourne sur ses pas.
- À toi l'honneur, me dit-il.
Je le regarde, incrédule, sentant mon coeur s'affoler à mesure que le cannibale s'approche, lentement mais sûrement.
- Oui, bien sûr, je lui réponds en riant jaune. Après tout, j'ai déjà fait ça. Trois fois. Sur un objet immobile. Mais je peux le faire.
Zach lève les yeux au ciel et me répond:
- Contente-toi d'essayer. On n'a pas beaucoup de balles alors applique toi.
Zach ne bouge toujours pas. Il est réellement en train de me forcer à m'occuper du mordeur moi-même alors que je ne sais même pas viser correctement. Ok, très bien. Puisque je n'ai pas le choix, je me place rapidement comme il faut et tire. Avant même que la balle ait atteint le zombie, je sais que je l'ai raté car je n'ai pas assez pris le temps pour immobiliser mes bras. Le zombie est projeté en arrière, à ma grande surprise, mais se relève. J'ai raté la tête. Le zombie se rapproche dangereusement. J'essaie de lui tirer dessus une nouvelle fois, mais mes mains tremblent et mon cœur bat tellement fort que je l'entends battre dans mes oreilles. Il faut que je me calme, j'ai encore une dizaine de secondes. Je prends une grande inspiration et tire encore une balle. Cette fois, le zombie ne se relève plus. J'ai eu chaud!
Je regarde Zach avec un grand sourire, fière d'avoir réussi à l'abattre, mais son visage est tendu. Il regarde quelque chose derrière moi. En une fraction de seconde, il me prend par le poignet et m'entraîne avec lui dans un sprint impressionnant. J'ai à peine le temps de me retourner pour comprendre ce qui l'a fait fuir, et regrette tout de suite. À vingt pas de là où je me trouvais il y a quelques secondes, une armée de mordeurs avance lentement. Ils doivent être au moins trente. C'est beaucoup trop pour qu'on puisse espérer s'en débarrasser. J'arrive à peine à tenir le rythme effréné de Zach, manquant de tomber plusieurs fois. Mon cerveau est comme embrumé, je ne sais même pas comment mes jambes arrivent à fonctionner aussi vite. Tout semble irréel.
J'essaie de reporter mon attention sur le chemin que prend Zach, qui me tire toujours par le poignet. Au bout de quelques minutes, on arrive devant la maison. Zach, hors d'halène, me crie de lui donner les clés pour ouvrir la porte, mais je n'arrive pas à réagir. C'est comme si j'étais uniquement spectatrice de ce qu'il se passe. Zach se place derrière moi et je le sens chercher frénétiquement dans mon sac à dos jusqu'à ce qu'il trouve enfin les clés après ce qui m'a semblé des heures de recherche. Il ouvre enfin la porte et m'attire à l'intérieur. Je n'arrive pas à me rappeler comment bouger, comment parler. Je vais finir comme mes parents. Même pas morte. Pire. Un cadavre mangeant des êtres humains. Je reste plantée là au milieu du salon, paralysée par la peur. Zach court partout, mais moi je reste debout là où il m'a lâché le poignet il y a quelques secondes. Des bruits à glacer le sang parviennent à mes oreilles. Je panique. Je panique. Je panique. J'entends vaguement Zach dire qu'on est dans la merde. Je n'arrive pas à respirer. Il pousse le canapé contre la porte d'entrée, qui se met à trembler. Ils sont juste là.
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Marche Avec Les Morts
HorrorLily est une jeune fille de 17 ans s'étant retrouvée seule suite à l'invasion de zombies sur la Terre. Alors qu'elle semble perdre tout espoir de trouver la moindre personne encore humaine, elle fait une rencontre qui la rendra plus vivante qu'elle...