10 janvier
Salut Ezra. Si subitement tu avais eu envie de rentrer à la maison, eh bien, tu as dû te retrouver bien seul chez nous. Je suis partie, figure-toi ! J'ai tout plaqué, comme la dame me l'a conseillé le jour de l'an. En rentrant chez moi, j'ai tout de suite cherché une destination qui pourrait m'aller. J'ai d'abord voulu partir dans l'endroit le plus heureux du monde — ce serait la Finlande, pour ta culture générale, puis je me suis dit qu'une île pourrait me couper de tout, et qu'un endroit froid pourrait congeler tous mes tracas. Mais finalement, c'est l'Italie qui a remporté la médaille. S'il y a au moins quelque chose que ma mère m'a appris d'utile, c'est bien la langue italienne... Ses parents venaient de Milan, elle a tenu à garder les traditions.
Crois-moi, ce départ a été compliqué ! J'ai dû donner ma démission, dire au-revoir à mes collègues, réussir à décoller Benoît de ma jambe qui était inconsolable, expliquer la situation à Edmond (notre voisin de l'étage, si jamais tu ne t'en souvenais pas), trouver un petit emploi en Italie pour ne pas flamber toutes nos économies, dégoter un logement qui accepterait aussi Hendrix (mon nouveau chat ; c'est vrai que je ne te l'avais pas encore présenté), quitter Marilyn, demander l'accord de la psy... Mais le plus dur, ça a été de fermer la porte à clé et de quitter l'appart'. Ne me demande pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même.
Pourtant, quand je suis enfin arrivée à bon port, j'ai oublié tous ces problèmes. Tu ne devineras jamais où je suis allée, jamais ! Et encore moins pour quelle raison. Tu te souviens quel avait été mon premier rêve, quand j'étais plus jeune ? Le métier que je voulais à tout prix expérimenter ? Vigneronne, figure-toi ! C'est sûr, ça n'est pas commun... Je ne sais même pas d'où m'est venue cette envie. Alors je me suis installée dans les Langhe, pour une durée indéterminée. C'est dans le nord de l'Italie, et si seulement tu pouvais voir ce paysage... Tu aurais adoré. Un homme me loge, me nourrit et me blanchit en échange de mon aide dans ses vignes ! Nous sommes trois, dans sa maison à faire la même chose.
Il s'appelle Andréa, je pense qu'il approche de la cinquantaine. Il ne parle pas beaucoup, j'ai l'impression, mais sa femme est un ange. Ils ont deux enfants, aussi. Deux garçons de sept et treize ans... De ce que j'ai vu jusqu'à maintenant, ils ne m'ont pas l'air très sympathiques. Dès que j'entre dans leur champ de vision, ils me toisent de leurs yeux tellement clairs qu'on pourrait voir à travers. C'est comme si j'avais pactisé avec le diable, je te le jure ! Ils me font peur, je crois bien... Mais j'essaye de les éviter et de ne pas y penser. Andrea a aussi dit qu'il me paierait un petit peu, si mon travail était bien fait. Et rien que pour ça, je me ferai toute petite et serai la femme la plus ravissante au monde. Il n'y aura pas plus gentil et efficace que moi !
Je commence ce matin, je termine ces quelques lignes avant de m'habiller. A cette saison, on doit tailler les branches... c'est long et rigoureux, mais j'ai tellement hâte ! Je t'embrasse fort, et souhaite-moi bonne chance pour cette première semaine. Arrivederci, comme on dirait ici !
Au milieu des vignes, Charlie repensait à ce qu'elle avait écrit dans son carnet ce matin, avant de partir travailler. Elle avait elle-même été étonnée de l'entrain qui s'était emparé d'elle au moment où elle alignait ces mots. Cela faisait deux jours qu'elle était là, et elle essayait d'en profiter au maximum. Elle était plutôt heureuse, même si elle ne connaissait rien ni personne, ici. Elle n'était pas encore épanouie, mais simplement heureuse ; contente d'être ici et de recommencer à vivre. Ezra était parti depuis quatre mois, et petit à petit, cette idée s'évaporait de sa tête, par moments. Elle réussissait lentement à s'habituer à être seule. A présent, elle pensait à elle avant de penser à eux, et d'une certaine manière, ça faisait du bien.
Alors devant ce paysage enchanteur, morte de froid et agenouillée ainsi en-dessous des branches, Charlie se dit qu'un jour, elle accepterait de laisser partir Ezra. Il s'envolerait deux fois, en tout. Il avait disparu de la circulation la première fois, et disparaitrait de son coeur la deuxième. Mais peut-être s'emballait-elle, en pensant cela...
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Pourtant je t'attends toujours
Non-FictionEzra Bentias, disparu depuis deux mois. Charlie Izaas, désemparée depuis cet instant. Depuis que le jeune homme a déserté les lieux, les jours s'ensuivent et se ressemblent, s'assemblent et se rallongent. Très vite, cette disparition est classée «...