La météorologue n'avait pas menti à la radio ; il ne devait pas faire plus de huit degrés, dehors. Mais Charlie, qui avait laissé sa veste à l'intérieur, avait plutôt l'impression que la température avoisinait les moins dix. Loin du soi-disant ressenti de cinq degrés... C'était simple, elle gelait sur place ; ses orteils avaient décidé de ne plus bouger. Mais à vrai dire, ce n'étaient pas ses pieds qui accaparaient toute son attention.
Devant les six paires d'yeux médusés, de belles et grandes flammes rougeoyantes dansaient au son des planches en bois qui crépitaient. Il y a encore quelques instants, elles n'étaient que très minces, très timides. Il n'en avait pas fallu beaucoup pour qu'elles prennent de l'ampleur et décident de défier le petit groupe de leur hauteur. Une légère couche de cendre tombait déjà en petits confettis sur le sol. La grange, qui était juxtaposée à la maison, avait disparu derrière le nuage de fumée, et de nouvelles flammes commençaient à lécher la fenêtre qui donnait sur la chambre de Gabriele. Bientôt, ces nuées noires s'infiltreraient dans leurs poumons et leur gratteraient férocement la gorge. Comment n'avaient-ils pas pu remarquer ce brasier plus tôt ?
— Oh mon dieu... Elsa ! Elsa, appelez les pompiers, tout de suite !
Lorenzo fut le premier à briser ce silence terrifiant. Pourtant, dans son peignoir couleur lavande, il était loin de paraître sérieux... Peut-être était-ce pour cela qu'Elsa ne réagit pas tout de suite. Cette dernière était toujours au volant de la camionnette, les mains agrippées à son siège. Dans ses yeux, Charlie revoyait les longues flammes qui virevoltaient vers le ciel. Elle avait peur ; elle était terrifiée, même.
— Elsa, votre téléphone !
Mais la mère de famille, d'habitude toujours sur le qui-vive, ne fit aucun geste. Ses grands yeux ne cessaient de s'arrondir, et bientôt, ce fut au tour de sa bouche. Seulement, celle-ci avait beau s'ouvrir, rien de distinct n'en sortit. Elle laissa simplement échapper un pauvre petit gargouillis.
— Bon dieu, mais c'est pas possible ! J'ai besoin d'un téléphone, il faut appeler les secours !
— Prends le mien, Lorenzo ! s'écria Gabriele.
L'adolescent sortit un vieil Androïd de son sac de classe et le brandit vers Lorenzo, en panique.
— Très bien, très bien !
Le jeune homme s'empara du téléphone et pianota sur les touches à une vitesse surprenante. Alessio, de son côté, s'était approché des flammes sans que personne ne le remarque, apparemment passionné par ces tourbillons rouges.
— Eh ! Eloigne-toi tout de suite ! aboya Charlie.
La blonde courut vers le garçon, et lui empoigna le bras avec fougue. La première réaction d'Alessio fut de se débattre, mais Charlie ne laissa pas échapper son poignet si frêle.
— Lâche-moi ! Lâche-moi, tu me fais mal ! s'égosilla l'enfant.
— Tu ne peux pas rester aussi près de la grange ! répliqua la jeune femme en criant encore plus fort qu'Alessio. C'est dangereux, tu comprends ? Des étincelles ou des cendres pourraient t'atteindre et alors, il faudrait t'amener à l'hôpital. Et crois-moi, une brulure, ça fait horriblement mal.
— La température d'une flamme varie entre mille deux cent et mille cinq cent degrés, chuchota le garçon. Ça voudrait dire que je serai brûlé très fort... Au troisième degré, sûrement.
— Exact, lâcha précipitamment Charlie, qui n'avait même pas retenu les valeurs que venait de dicter Alessio.
La blonde allait ordonner à Alessio de rejoindre la camionnette, quand une planche se détacha de la grange et chuta vers le sol. Charlie eut le temps de la voir osciller, puis descendre en piquet vers l'enfant et elle. Et sans qu'elle ne s'en rende tout de suite compte, elle empoigna Alessio par la taille et fendit l'air pour s'éloigner du danger. Le bout de bois s'écrasa à l'endroit même où ils se tenaient deux secondes plus tôt, et le son de la planche qui se fendit en deux résonna dans tout le corps de la jeune femme. Le garçon s'était agrippé à ses épaules, et son souffle lui chatouillait le cou. Alors, elle entendit sa petite poitrine trembler et bientôt, les sanglots de l'enfant retentirent. L'adrénaline passée, il semblait maintenant effrayé. Mais Charlie, elle, était rassurée. Il pleurait ; il était encore là, tout frissonnant dans ses bras, alors que sans elle, il ne serait devenu qu'un vulgaire tas de cendres.
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Pourtant je t'attends toujours
Non-FictionEzra Bentias, disparu depuis deux mois. Charlie Izaas, désemparée depuis cet instant. Depuis que le jeune homme a déserté les lieux, les jours s'ensuivent et se ressemblent, s'assemblent et se rallongent. Très vite, cette disparition est classée «...