Chapitre XI

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Nous étions le trente-et-un décembre, Noël était derrière Charlie. Et elle était rassurée. Elle avait passé le réveillon et le jour de Noël chez ses parents et en compagnie de sa soeur, qui était finalement réapparue. Ces deux jours de fête avaient été froids, tristes. Ils avaient été seulement quatre autour de la table, à manger en silence et à s'offrir quelques babioles insignifiantes. Charlie, Inès et leur mère avaient fait l'effort d'esquisser quelques sourires faux, mais leur père ne s'était même pas pris cette peine.

La mère de Charlie, Josiane, était le genre de femmes qui emmagasinait tout le bonheur autour d'elle, et qui imaginait une solution à tout, même lorsque c'était voué à l'échec. Elle était douce, ronde, forte et fragile à la fois, présente et jamais là quand il le fallait en même temps. Josiane collectionnait les chemises — à carreaux, à motifs, blanches, rouges, longues, ouvertes, à col... — et agrémentait tous ces hauts de bijoux fantaisies, qui souvent ne s'accordaient pas avec le reste. Elle disait que cuisiner l'aidait à réfléchir ou à se détendre, alors les repas étaient toujours copieux et sans fin. Celui du réveillon n'avait pas manqué... D'une certaine façon, cuisiner était son seul passe-temps, puisqu'elle était femme au foyer depuis la naissance d'Inès. Et puis, elle disait que ça lui faisait plaisir alors personne ne lui disait rien.

Mais même si elle état toujours à la maison, Charlie et elle n'avaient jamais réussi à tisser de vrais liens. Josiane aimait ses deux filles à la folie, mais elle ne les avait jamais comprises. Du moins, elle n'avait pas essayé... C'était pourquoi Charlie trouvait que sa mère avait été à ses côtés toute sa jeunesse, mais n'avais jamais été là pour l'écouter.

Leur père, Philippe, avait toujours été un homme distant et réservé. Contrairement à sa femme, il avait encore un physique d'athlète avec ses jambes élancées et son corps fin. Ses traits étaient inlassablement tirés, comme s'il grimaçait à la vie en permanence. Et avec le temps, de longues pattes d'oies s'étaient formées au coin de ses yeux clairs. Beaucoup de monde disait que Charlie avait les mêmes yeux que Philippe, mais il brillait dans les siens une étincelle sinistre que jamais personne n'avait réussi à comprendre. Charlie s'était toujours dit que son père regrettait quelque chose dans sa vie. Peut-être aurait-il dû faire un autre métier que celui d'agent immobilier, peut-être aurait-il dû déménager en Irlande, dans ce pays qu'il disait être celui de son coeur...

Et tous ces traits familiaux, la jeune femme les avait retrouvés durant ces deux jours qui auraient dû paraitre festifs. Malheureusement, Inès avait décidé de revenir pour Noël, et même si Josiane avait accepté sa présence, Philippe avait été plus réticent. Il avait appris la grossesse de sa fille, et s'était empressé de lui poser toutes sortes de questions qui pourraient la mettre dans l'embarras. Tu connais au moins le père ? Encore heureux... Tu comptes le garder ? Très bien. Tu es prête à tout prendre en charge ? Tu sais que tu es seule dans cette galère, n'est-ce pas ? Maman et moi ne pourrons pas t'aider éternellement d'un point de vue financier. Et si le père veut connaître son gosse ? Et si le morveux a des problèmes ? Tu sais, de nos jours, les risques qu'un enfant devienne autiste ou que sais-je ont beaucoup augmenté. Finalement, Inès lui avait hurlé de se taire, et Philippe s'était muré dans son silence.

Josiane avait offert à ses filles deux coussins de créateurs à installer dans leur salon respectif, et leur père avait glissé un chèque dans la main de chacune. Charlie avait dégoté de nouveaux bijoux à sa mère et un énorme livre sur les coutumes du Moyen-Age à son père, puis avait laissé à Inès une grande plante d'intérieur qui ne demandait pas beaucoup d'entretien, afin que sa soeur ne la tue pas au bout de deux semaines. Tout le monde s'était embrassé, mais les lèvres avaient à peine effleuré les joues. Vers une heure du matin, la blonde avait retrouvé son ancienne chambre d'adolescente, avec des centaines de clichés d'elle et ses amies qu'elle ne reconnaissait même plus sur la porte, et son lit simple envahi par les peluches. Cette nuit là, elle eut l'impression de tomber à plusieurs reprises sur la moquette. Elle n'était plus habituée à dormir dans un lit si petit... Et puis, avant de s'endormir, elle avait chuchoté quelques mots à l'adresse d'Ezra, en lui souhaitant un joyeux Noël, de là où il se trouvait actuellement. En tendant un peu l'oreille, elle s'était imaginée qu'il lui avait répondu, et elle avait fermé les yeux.

Pourtant je t'attends toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant