Chapitre 14 : Si j'étais moins con...

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Kal

Nous sommes partis depuis maintenant trois bonnes heures et je dois reconnaître qu'elle a de l'endurance. Elle a ajusté sa marche à la mienne, et j'avoue qu'elle m'épate, puisque je l'ai accélérée plus que d'ordinaire. J'ai beau lutter, j'éprouve comme une envie irrépressible de la faire chier, certainement parce qu'elle a cru bon de fouiner chez moi. Autre avantage que je lui concède, elle ne parle pas ni ne pose de questions, depuis que j'ai superficiellement répondu à ses premières. Elle garde sa place derrière moi, conservant une juste distance qui me va parfaitement. Je ne suis pas con et devine très bien qu'elle est surtout mal à l'aise pour ce qu'il s'est passé hier soir. Tant mieux.

Je suis censé commenter, expliquer, narrer ce que nous parcourons et voyons, mais putain, un arbre est un arbre.

Je sais, je suis un guide à chier, mais comme je l'ai déjà précisé, j'offre des excursions pour dépasser ses limites, pas pour remplir un herbier à la con. J'étais plutôt bon et enjoué autrefois, mais tout ça, c'est fini depuis un moment... Je pense même arrêter cette activité très prochainement. Je ne supporte plus les gens. Ouais, je vais faire ça. Je donne à ma cliente ce qu'elle est venue chercher, et j'arrête ces conneries d'excursions.

Jusqu'ici, la randonnée est un jeu d'enfant. Nous avons rapidement rejoint un sentier relativement dégagé, à la limite du banalisé. Il ne reste que quelques traces de neige, et la forêt est moins dense que celle que nous traverserons d'ici peu.

— On va s'arrêter quinze minutes.

Je me débarrasse de mon sac à dos et m'assieds au pied d'un cèdre. Je vire bonnet et gants et attrape ma bouteille d'eau. Je m'apprête à la porter à la bouche, quand je me souviens que je ne suis pas seul, et mieux encore, quand je me rappelle des quelques rudiments éducatifs que m'a enseignés Carolyn.

— Tenez, buvez, lui proposé-je mes réserves.

En réalité, je n'ai surtout pas envie qu'elle s'effondre sous la déshydratation. Nous sommes à mi-parcours, et je refuse de la porter pendant les trois prochaines heures jusqu'au gîte, ou pour faire demi-tour.

Alors qu'elle est toujours debout, la brune me jette un œil torve, avant de déposer son sac au sol et d'en sortir elle aussi une bouteille.

— J'ai ce qu'il faut, merci.

Son ton est vif, glacial, et son merci est à la hauteur de ma proposition, mécanique et dénué de sincérité. Soit. Je prends une longue gorgée, remplis une écuelle à Othello, puis je replace l'eau à sa place initiale.

Le reste du chemin va être bien plus rude, et plus nous allons grimper plus le froid va s'intensifier. Pour prévenir la perte d'énergie dont nous allons être indubitablement victimes, je m'apprête cette fois à lui suggérer d'avaler quelque chose de solide et de protéiné, mais elle me devance et extirpe de son sac des barres de céréales. Elle relève la tête vers moi et en secoue une à mon attention. Dans le même silence, je l'accepte, elle me la lance, je la réceptionne, la remercie, et l'engouffre.

Finalement, cette rando pourrait s'avérer moins casse-couilles que je me l'étais imaginée. Ma cliente ne jacasse pas, s'est elle-même équipée du b.a.-ba, et marche sans rechigner.

— On repart dans huit minutes, l'informé-je en me calant contre l'arbre, les yeux fermés.

— C'est une manie chez vous de compter les minutes.

— C'est une question ou une affirmation ? lui demandé-je en rouvrant mes paupières.

— Une constatation.

Le regard baissé sur son sac, elle en réorganise le contenu pour y replacer sa bouteille et les emballages vides de son en-cas.

Alors que je note qu'au moins, ce n'est pas une dégueulasse qui pollue l'environnement, je pose un regard halluciné sur le couteau qu'elle vient d'utiliser et de replacer à sa ceinture.

Bad Trip en AlasKaL (Black Ink Editions)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant