Préface

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Voici l'histoire de Gampi Bouderot, aussi surnommé Grande Langue, tel qu'il l'écrirait lui-même.

Contrairement aux gnomes des forêts qui sont généralement élevés au sein de communautés cachées en marge de la civilisation des hommes, certains gnomes d'Érésie ont décidé de se regrouper et de s'afficher ouvertement comme peuple en fondant la ville de Gardeval, situé à l'extrême sud du continent. C'est donc en Gardeval que le jeune Gampi vit le jour. Étant un enfant de nature curieuse, toujours enjoué et avec une soif insatiable de connaissances, il fût élevé en langue elfique, fidèle à la tradition du clan Bouderot. Son père, Carmikk Le Sage, avait étudié l'art mystique dans l'illustre académie de magie d'Elcadis. Il alimentait donc sans cesse l'esprit captivé de son fils envers les secrets de la nature et toute la magie qui l'imprègne. Que ce soit en rallumant le feu de la cheminée d'un simple claquement de doigts ou en déversant, sur la tête du jeune Gampi, une cascade d'eau glacée pour lui rappeler que c'était l'heure du bain, l'homme ne pouvait s'empêcher de rechercher l'admiration de son fils. « Patience mon fils, quand le moment sera venu, je t'enseignerai moi-même tout ce que tu as à savoir ».

Carmikk parcourait le continent en quête de nouvelles connaissances et des manifestations de la brume Éthérée. Lors de sa dernière expédition avec un contingent d'elfes des bois au sud de Gwen Doraelh, il avait découvert une hutte abandonnée au milieu des marais, probablement le repaire d'une guenaude ou autre abjecte créature. Celle-ci semblait avoir comme sadique passe-temps d'enfermer des fées dans des lanternes comme source d'éclairage. L'endroit semblait abandonné depuis un bon moment et les pauvres petites avaient vraisemblablement toutes péries. Toute... sauf une ! À son retour chez lui, Carmikk travailla sans relâche dans son bureau, matins et soirs, parcourant encore et encore son grand grimoire à la couverture écarlate, cherchant le moyen de briser le sceau de cette prison de verre avant qu'il soit trop tard.

Par un bel après-midi d'automne, Gampi venait à peine de partir à la cueillette de pierres pour ajouter à sa collection favorite que le malheur s'abattit sur lui sous la forme d'une colonne de fumée noire montant par-delà l'horizon. Accrochant la petite bourse à sa ceinture, le jeune gnome gravit la pente à toute vitesse pour découvrir ce qu'il craignait le plus : les flammes consommaient sa demeure. Sans réfléchir une seconde, il se rua à l'intérieure mais ne découvrit aucune trace de son père au milieu du chaos de la pièce. Il était évident qu'une bagarre avait eu lieu et tout avait été saccagé, sans doute par une bande de voleurs comme l'indiquait les nombreux objets manquants. Au sol, la lanterne sur laquelle son père travaillait gisait, une des vitres ayant éclaté en morceaux et évidemment, il ne trouva aucune trace de sa pensionnaire.

Apeuré et paniqué, Gampi roula le grand tapis au centre de la pièce pour accéder à un compartiment caché. Il savait que son père y rangeait son grimoire lorsqu'il ne l'avait pas sur lui. Le brasier montait en force autour de lui et les flammes commençaient dangereusement à le piquer de toute part. Le pauvre ouvrit le grimoire mais il n'y comprenait rien. Il tenta de déchiffrer les symboles anciens en usant du peu de savoir que son père avait tenté de lui transmettre. Ce qui arriva ensuite demeure encore à ce jour un mystère sans réponse.

L'image du grimoire ouvert demeure un souvenir clair dans l'esprit de Gampi mais le souvenir suivant ne se place chronologiquement que quelques heures plus tard. Gisant au sol, à environ une cinquantaine de mètres de lui se dessinait vaguement la petite chaumière familiale qui semblait s'être volatilisée sous l'impact d'une forte explosion. Gampi contempla le ciel, tenant toujours fermement la lanterne à la main malgré son petit corps endoloris, et comprit que sa vie venait de changer à tout jamais. Qu'était-il arrivé à son père ? Comment avait-il réussi à libérer la fée et où était-elle maintenant ? Était-ce Gampi qui avait causé cette explosion ? Avait-elle également consumé le grimoire ? Il se traina au sol jusqu'au ruisseau en contrebas et remarqua dans le reflet de l'eau la présence d'une nouvelle mèche blanche dans sa chevelure de feu : une autre question sans réponse et un vestige de cette journée funeste.

Au fil des ans, Gampi se jura de se mettre en quête de réponses et prit le temps qu'il faut pour s'y préparer, fidèle à sa nature. Devenant l'un des plus prolifiques chercheurs de l'Académie d'Elcadis, il sut développer une approche de la magie qui lui était bien personnelle. « Quand j'aurai atteint la centaine, je partirai » avait-il planifié. Il avait tellement répété cette phrase encore et encore à tous ceux qui croisaient sa route que plus personnes n'y croyait, si bien qu'il y gagna le sobriquet de « Grande Langue ». Évidemment, sa capacité à prendre une heure pour raconter ce qui n'aurait dû prendre que quelques minutes y était aussi surement pour quelque chose ! C'est donc le jour de son 100e anniversaire qu'il prit finalement la route, tel qu'il l'avait planifié durant toutes ces années. Après avoir commencé à suivre les traces de son père dans l'apprentissage de la magie, il se sentait maintenant près.

Il prit la route avec un minimum de possessions. Tout d'abord, une petite bourse remplie de pierres qui lui avait été bien utile dans toutes sortes de situations et de laquelle il n'avait jamais pu se départir. Ensuite, une lanterne brisée qui, après avoir été infusée de la magie d'une fée pendant si longtemps, lui servait désormais de focalisateur arcanique. Après tout, se disait-il, il n'y avait aucune chance qu'on ne veuille un jour lui voler ce genre d'objet à l'allure anodine ! Et finalement, un parchemin... un long parchemin... un très long parchemin ! Plutôt que d'utiliser un grimoire conventionnel avec un nombre fini de pages (et surtout parce qu'il avait la fâcheuse habitude de tout détailler beaucoup plus qu'il ne le fallait), il choisit d'utiliser un parchemin en tissu. Celui-ci étant extrêmement long au point qu'il faille chaque fois le dérouler en entier pour tenter de retrouver une information précise, une couture lui suffisait pour ajouter une nouvelle section à sa suite lorsqu'il devenait trop chargé.

Son plan était clair : Survoler rapidement le continent, établir quelques contacts ici et là et se joindre à un groupe d'aventuriers. Si son père lui avait bien appris une chose, c'est que l'on ne sait jamais où une aventure peut nous mener ! Durant deux années entières, il prit donc la route afin de parfaire son apprentissage avant le début de SA grande aventure. Sans véritables destinations précises en tête, il remonta jusqu'au nord pour se donner un bref aperçu de l'étendu du vaste monde. S'arrêtant d'abord un bref instant dans les diverses cités d'Ésonie, puis évitant les Terres sauvages pour se risquer ensuite à faire un crochet jusqu'à La Grande Sylve, il parcouru ainsi les principales citadelles elfiques. Après avoir quitté le Hall du Mithrill et contourner les montages, c'est par le royaume d'Albéran que Gampi arriva finalement dans la Principauté de Point-Nord. On lui avait maintes fois répété que ce hameau au commerce florissant avait des problèmes de bandits, de gobelins, d'orcs et de disparitions. C'était sans doute l'endroit idéal pour croiser d'autres compagnons attirés par les nombreux contrats offerts.

Voilà maintenant quelques jours qu'il s'était pris logis dans une auberge locale afin de ramasser les innombrables notes qu'il avait accumulées dans son périple. À son réveil ce matin-là, il avait senti un changement dans l'air... cette journée s'annonçait propice à de nouvelles rencontres.

Chroniques des Arches NoiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant