THE HYBRID ~tome 1~

III. 1 PIANISTE ET ACCORDÉONISTE

Céleste avait cessé de respirer. Ses paupières étaient inertes, ses yeux coincés sur Bridge. Il se leva de son tabouret, et approcha d’elle. L’adolescente était comme statufiée, son violon dans une main et l’archet dans l’autre.

Pendant un instant, elle se demandait si la lame de son archet n’était pas assez tranchante pour sectionner la jugulaire de l’ange. Mais elle n’osa même pas essayer. Elle se surprit même à prier que Bridge ne lise pas dans les pensées. Parce que s’il était vraiment l’homme de la veille_ ce qui était fort probablement le cas_ elle était une femme morte.

— Normalement, reprit Bridge, tu aurais dû oublier. Mais j’ai immédiatement vu dans ton regard que ce n’était pas le cas.

— Je ne…je ne vois pas de quoi tu veux parler…

— Première leçon, on ne ment pas à un ange.

— Tu vas me tuer ?

— Je veux juste savoir, continua-t-il en arrivant à moins d’un mètre d’elle, comment tu as fait pour te protéger du sort d’amnésie.

— Je n’en sais rien. Diégo n’a plus aucun souvenir, mais moi si. Et je ne sais pas pourquoi. Crois-moi, j’aimerais avoir oublié. Au moins je n’aurais pas l’impression d’être folle. Mais je n’ai rien oublié, ça c’est vrai. Je sais ce que toi et Mallory êtes. Et je sais aussi que j’ai raison de vous craindre...

— Tu es incroyablement belle, Céleste…souffla-t-il en attrapant l’une de ses mèches brunes entre son pouce et on index gauche. Il la roula pendant un moment, avant de relâcher le cheveu.

— Qu’est-ce que vous êtes ? demanda-t-elle.

— Je suis un archange. Ma peau est faite de nuage, et mon cœur de cristal. Mes yeux ont été forgé dans le saphir le plus pur du paradis, et mes cheveux sont des rayons de soleil domptés par Dieu lui-même. Je suis un archange, Céleste…

— …et Mallory…un démon ?

— Un suppôt de Satan, oui. Créature ignoble et détestable, avide et sans scrupule. Leur rôle, pervertir des gens comme toi. Mallory est un fauteur de trouble, séducteur mesquin dont le rôle principal est de détruire. Oui, Mallory est un démon et lui et moi ne sommes pas du tout cousins.

— Qu’est-ce que vous faites ici à Gelsomino ? C’était quoi ce combat d’hier ? Et pourquoi…enfin expliquez-moi…

— Tu n’as pas besoin de me vouvoyer parce que je suis un ange, sourit Bridge, ça casse tout le charme de la chose. La vérité, c’est que Mallory et moi avons été bannis.

— Toi du paradis et lui de l’enfer ?

— C’est comme ça que vous l’appelez ici, rétorqua Bridge. Enfin, nous on appelle ça Brightwood et Darkwood. Et oui, on nous a bannis. Humiliant pour un ange, hein ? Il faut dire que j’ai vraiment déconné…

— Et…qu’est ce que vous avez fait ? Enfin, je te vouvoie pas hein ? Je veux dire…Mallory et toi…

— Si tu savais. J’ai tellement honte de moi. Je suis…

Bientôt, des voix se firent entendre provenant du couloir. Bridge s’éloigna de Céleste, au même moment où plusieurs élèves entraient dans la salle des instruments. Céleste constata avec dépit que ses quarante-cinq minutes de libre étaient déjà terminées.

Elle rejoignit les autres camarades, et la professeure Selvaggio entra en trombe dans la salle. Elle avait de courts cheveux roux foncés, et une longue robe noire avec des bottes de la même couleur. Elle se plaça devant les étudiants, et les dévisagèrent un à un. Personne n’osa tousser.

— Vous êtes qui, vous ? demanda-t-elle en pointant simultanément Mallory et Bridge, qui étaient pourtant à deux coins opposés.

Céleste hasarda un regard discret dans la direction du démon. Il avait toujours son air indolent, et son sourire narquois sur le visage.

— L’autre taré s’appelle Bridge Brightwood, tonna Adryan Guinanni, et voici mon pote Mallory Darkwood. Ce sont des nouveaux étudiants.

— Surveille ton langage, Adryan ! Des nouveaux en fin d’année ?

— Apparemment ils sont très doués, tonna-t-il, dixit la directrice.

— On va bien voir ça, siffla la professeure. Mallory, en avant ! Choisis un instrument et montre nous ton talent. Je ne veux pas de nullards dans mon cours. Si tu ne te sens pas capable, prend ton sac et casse-toi d’ici. Le département de théâtre t’accueillera sans doute.

— Ça ira, sourit-il en sortant de la foule.

Céleste n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi nonchalant. Sa chemise était enfilée nonchalamment, son bandana noué nonchalamment, ses cheveux coiffés nonchalamment, et sa démarche également nonchalante. Mais toute ses nonchalance, cet air habillé-déshabillé, donnait un air craquant au démon. Lorsqu’il arriva en face des instruments, il se tourna vers la professeure.

— Tu as le choix ! répliqua-t-elle.

Il acquiesça. Mais lorsqu’il se positionna face à  son instrument, la plupart des étudiants émirent un soupir de surprise.

— Tu es sûr ? s’exclama la signora Selvaggio. Personne n’avait jamais joué de ça ici !

— C’est normal, s’exaspéra le démon, personne ne s’appellait Mallory Darkwood ici. Oh, c’est poussiéreux, remarqua-t-il indolemment.

Il porta l’accordéon et passa la sangle autour de son poignet. Il s’assit sur le tabouret. Personne n’applaudit, lorsqu’il salua. Personne n’osa même bouger.

Céleste se demandait s’il était sérieux, ou c’était juste une tactique pour attirer l’attention. Mais enfin, l’école n’avait plus connu d’accordéoniste depuis des lustres. Le dernier étudiant qui avait choisi cette spécialité était devenu imbattable dans son domaine. Mais il était aussi mort depuis presque trois ans. Mallory serait-il celui qui prendrait la relève ? Ils allaient le savoir tout de suite.

— J’ai besoin de quelqu’un pour m’accompagner à la batterie, tonna-t-il. Un étudiant se porta volontaire, et fonça derrière les toms et cymbales. Un beat de type hip-hop, tu peux faire ça, minus ? le jeunet acquiesça en s’emparant des baguettes de bois clair.

La tension était palpable dans la salle. Et seule la musique de Mallory pourrait la relâcher. Aussi, ses premières notes d’accordéon eurent l’effet d’un claquement d’élastique dans la salle d’instruments.