II 1. LES NOUVEAUX ÉTUDIANTS

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Céleste sursauta. Elle dû cligner des yeux plusieurs fois pour savoir où elle était. Le hall du conservatoire. C’est exactement là que le tourbillon l’avait avalé. Mais on aurait dit que rien n’avait changé. Le plafond était intact, les vitres des fenêtres n’avaient pas explosé, et il n’y avait aucune trace d’incendie sur les murs.

Elle regarda sa montre.
20 Nov – 07 : 28

C’était déjà le lendemain, réalisa-t-elle avec effroi. Elle n’avait aucun souvenir de sa nuit, ni de sa matinée. Son dernier souvenir remontait à son aspiration dans le tourbillon de feu. Quand s’était-elle habillée et maquillée pour arriver ici ? Elle n’en avait aucune idée.

Autour d’elle, les autres étudiants discutaient entre eux. Le hall était bondé, comme chaque matinée. Les ballerines qui n’avaient plus le temps de se rendre aux vestiaires enfilaient leurs souliers sur place. Un étudiant qui jouait de la guitare attirait les soupirs admiratifs de plusieurs étudiantes de deuxième cycle, toutes des pré-adolescentes bouillonnantes d’hormones. Bref, une matinée normale à Gelsomino.

Céleste s’apprêtait à faire un pas en avant, quand elle fut bousculée de dos. Un éclat de rire lui parvint à l’ouïe. Elle se retourna, et tomba nez-à-nez avec son principal rival, Adryan Guinanni. C’était un garçon avec des cheveux bouclés châtains, et des lunettes aux montures dorées devant ses prunelles vertes.

Malgré son physique particulier, Adryan était connu dans le conservatoire comme l’un des meilleurs. C’était le principal concurrent de Céleste, et l’inimitié entre eux était légendaire.

— Je ne savais pas que tu t’étais reconvertie en gardien, se moqua Adryan. Tu fais bien de surveiller maintenant le portes, dit-il, la musique ne te seyait pas tant que ça, je dois dire.

Les acolytes du vintenaire rigolèrent, mais Céleste ne pipa mot. Elle le regarda juste s’éloigner vers la salle de cours. Rapidement, Diégo la rejoignit à son poste.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna-t-il en la regardant plantée à l’entrée du conservatoire, presque déboussolée comme si c’était la première fois qu’elle se trouvait là. Elle se tourna vers son meilleur ami, et le fixa d’un air indécis entre la surprise et la joie. On a cours de technique vocale dans une minute. Et tu sais que monsieur Pigrizia choisira Adryan pour diriger la séance, si tu n’es pas là…

— Diégo ! hurla-t-elle en se jetant dans ses bras. Il en fut surpris, ne comprenant pas ce qui arrivait à Céleste Pastorella.

— Moi aussi je suis heureux de te revoir, répliqua-t-il, mais on ferait mieux de se dépêcher si on ne veut pas être en retard.

— Toi aussi tu t’es réveillée ici ? demanda-t-elle. le blond fronça les sourcils. Je sais, c’est fou. Ce qui s’est passé hier, on dirait que c’est jamais arrivé. Mais regarde, tout est resté intact. Et toi…toi, tu n’as pas brûlé, tu es…

— Tout va bien ? s’inquiéta Diégo Santiago.

— Tu ne te souviens de rien ?

— De quoi devrais-je me souvenir ?

Troublée, Céleste recula d’un pas. Il ne se souvenait de rien. Comment était-ce possible ? Elle n’avait pas rêvé. Elle n’était pas folle. Tout ce qu’elle avait vécu…ce qu’ils avaient vécu…c’était réel. Pourquoi Diégo ne s’en souvenait-il pas ?

— Comment était…le dîner avec ton père ? bégaya-t-elle.

— Énorme, s’écria-t-il. Mais je te raconte tout ça après le cours. Allez, vient !

Il la saisit par la main et grogna de douleur. Il regarda dans sa paume, et aperçut une égratignure. Il fronça les sourcils, et se gratta les cheveux. Céleste reconnut instantanément la blessure qu’elle avait faite à son ami, en essayant de le sauver de la tornade de feu.

— Comment as-tu eu ça ? demanda l’adolescente.

— J’en sais rien, répliqua son ami en haussant les épaules. Mais papa m’a aidé à réparer mon ancienne guitare électrique. Je pense que c’est là que je me suis fait cette vilaine coupure. On sera en retard, Céleste !

Elle hocha la tête, et le suivit au pas de course. En repassant par le couloir, tous les souvenirs de la jeune musicienne lui revinrent, avec une force telle qu’elle en chancela. Mais elle finit par arriver à la salle du cours, et y entra en trombe.

Monsieur Pigrizia leva un regard ennuyé vers les retardataires, tandis que Adryan lançait une blague pour amuser la galerie. Céleste rejoignit son pupitre, toujours déboussolée face à ce qu’elle avait vu et vécu la veille.

— Comme je le disais déjà, continua le professeur, aujourd’hui on va parler du curbing, une technique vocale que tout étudiant de troisième année se doit de maitriser. Avec le curbing, le son produit par la voix est légèrement métallique.

Céleste avait du mal à se concentrer, ce qui était insolite la connaissant. Jamais rien n’avait réussi à déconcentrer la jeune adolescente. Malgré que monsieur Pigrizia soit l’un des professeurs les plus ennuyeux du conservatoire, elle s’était toujours évertuée à comprendre tout ce qu’il enseignait. Elle n’avait pas le choix, si elle voulait sortir de l’ombre de sa mère adoptive.

— La semaine passée, continua le professeur de sa voix endormie, l’un de vos camarades a réussi cette technique sans même savoir de quoi il s’agissait. Qui était-ce déjà ?

Adryan leva la main, d’un air condescendant. Le professeur hocha la tête et il se leva. Il avança devant la classe, un sourire narcissique sur son visage hâlé. Ce sourire aurait normalement mis Céleste dans tous ses états. Elle avait horreur de voir ce garçon complètement sûr de lui et du talent qu’il avait hérité de son père.

Adryan était l’unique fils de Côme Guinanni, l’un des chanteurs d’opéra les plus célèbres d’Italie. Contrairement à Céleste, il n’avait pas à travailler dur pour maitriser l’art du chant. C’était inné en lui. il n’y avait vraiment pas de quoi se vanter.

Adryan commença à chanter, et Céleste dû s’avouer encore une fois que ce jeune écervelé avait un timbre époustouflant. On avait du mal à croire qu’une voix aussi puissante sorte d’un corps aussi menu. Adryan maitrisait son souffle, son vibrato et les acrobaties vocales à la perfection.

A chaque fois qu’il chantait, il provoquait des nuées d’émotions entre les tripes de Céleste, malgré elle. C’est lui qui la poussait à se dépasser comme elle le faisait chaque jour. Le professeur hocha la tête d’un air admiratif, et fut le premier à applaudir lorsque le jeune châtain termina sa prestation.

— Parfait, s’exclama monsieur Pigrizia alors qu’Adryan rejoignait sa place, sans omettre de toiser Céleste au passage. Vous voyez ! Vous voyez comme il a réussi le Curbing. S’il n’y a qu’un qui aura son Certificat d'études musicales cette année, ce sera bien lui. Quelqu’un d’autre voudrait-il essayer ?

Il posa son regard sur Céleste, comme la plupart des autres étudiants de la salle. Naturellement, c’était un combat entre Adryan et elle. Tout était un combat pour eux, et la journée n’était bien finie que quand l’un d’eux avait remporté ledit combat.

Et là, Adryan avait sans nul doute un point d’avance. Mais Céleste ne passait jamais après Adryan, surtout quand il avait réussi. Cela lui ajoutait un maximum de pression, et elle n’avait pas le droit d’échouer quand elle passait après lui. Là, elle n’avait pas la tête au Curbing, ni à la musique en général. Elle voulait juste comprendre ce qui lui était arrivé la veille. Et chanter ne l’aiderait pas. Pas cette fois.

Au même moment, trois coups retentirent à la porte. Céleste soupira de soulagement. Sauvée par le gong. La directrice du conservatoire, signora Océano entra dans la salle et salua le professeur Pigrizia d’une poigne laconique et platonique.

C’était une vieille femme aux cheveux sel et poivre coiffés en un chignon sophistiqué. Elle avait autour du cou une chaine imposante, de la même couleur que ses escarpins rouge incarnat et son rouge à lèvres. Elle avait un tailleur bleu turquoise et une paire de mitaines blanches sur les mains.

— Je suis heureuse de vous revoir ce matin, et avec de si bonnes mines. Aujourd’hui, nous accueillons deux nouveaux étudiants dans notre conservatoire de musique Gelsomino...

THE HYBRID   ~tome 1~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant