Chapitre 2.1 :

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J'ai passé mon samedi après-midi avec Logan à faire des bonhommes de neige, faisant tout pour éviter mes parents. Nous sommes rentrés à la tombée de la nuit, frigorifiés mais heureux d'avoir passé un moment ensemble, plein de joie et de complicité. Puis, tout s'est gâté lorsque j'ai voulu entrer dans la chambre de Callie, pour la première fois depuis des mois. Logan m'a arrêtée, refusant que j'y mette un pied. Je me suis énervée quand j'ai vu que ont transformé sa chambre d'enfance en bureau, sans même me demander si je voulais garder quelque chose...

Ils ont transformé l'antre de ma soeur en un bureau insipide, avec un ordinateur, un bureau et une commode, ainsi que deux pauvres plantes artificielles. Le nouveau papier peint blanc est triste à mourir. D'après mon petit-frère, ils ont débattu pendant des heures avant de se mettre d'accord sur les travaux à effectuer. Soudain, je comprends d'où venait l'odeur de peinture dans la voiture de ma mère : non contents d'avoir privé ma défunte soeur de ma chambre, nos géniteurs ont aussi recouvert la fresque de montagnes qu'elle avait peinte sur sa porte.

Apparemment, ma mère a lâché beaucoup de larmes et mon père a répété qu'il était temps de passer à autre chose. Apparemment, ils ont fait exprès de le faire quand je n'étais pas là. J'aurai bien voulu récupérer des choses, comme son journal intime qui dormait dans sa table de nuit et que je n'ai jamais eu le courage d'ouvrir. J'aurais aimé avoir son pull préféré, celui avec des sequins dorés sur le devant qu'elle mettait tout le temps. Ou encore son parfum, La petite robe noire de Guerlain, que mes parents lui ramenaient à chaque fois qu'ils allaient en voyage à Paris...

— Tu me manques, me fait Logan, devant un chocolat chaud. Nos parents se disputent tout le temps. Il s'est passé quoi, avec maman ?

— J'ai prononcé le prénom de Callie.

Il secoue la tête d'un air dépité, passant une main dans ses boucles brunes. Nous nous ressemblons énormément, lui et moi : un visage en oval, des pommettes hautes et des cheveux foncés. Nous avons tous les deux de grands yeux bleus en forme d'amande, quand Callie avait les yeux vairons de notre mère. À certains moments, je ne peux pas me demander s'il n'y a pas un adulte dans ce corps de pré-adolescent. Il est vif et futé, mais trop candide et impatient. Curieusement, il a très bien géré la mort de notre soeur, à moins qu'il ne sache comment camoufler ses émotions à la perfection.

— J'imagine que tu t'es pris une bourrasque ?

Sa petite voix fluette m'arrache un sourire. Le roman Eragon est ouvert sur la table, qu'il feuillette sans vraiment regarder les pages.

— Elle refuse d'entendre parler de notre soeur, à croire qu'elle n'a jamais existé.
Logan soupire et boit une gorgée de chocolat. Il en a partout autour de ses lèvres, mais s'en moque. Il paraît si concentré dans sa tâche que cela m'arrache un élan d'attendrissement.

— Tu n'as pas le monopole de la souffrance, Zarah, lâche-t-il soudainement, en repoussant sa tasse vide. Toute la famille souffre. Papa et maman sont détruits parce que Callie était leur premier enfant et qu'ils avaient fait confiance à la mauvaise personne. Ils pensent que c'est de leur faute ce qu'il s'est passé, que s'ils avaient refusé que Callie épouse Thomas, rien de tout cela ne se serait produit. Papa prend des pilules et travaille tout le temps pour ne pas penser. Maman double ses heures au travail à tel point qu'elle a eu des problèmes de cheville. Mais tu t'en préoccupes d'eux, Zarah ? Ou tu es trop intéressée par ta propre souffrance ?
Choquée, je dévisage mon frère avec de grands yeux. Il n'a peut-être que quatorze ans, mais il est très mature pour son âge. Il s'intéresse à des truc qui rendent de marbre la plupart des gosses de son âge — l'écologie, le féminisme, ou encore la politique. Et voilà qu'il me parle de psychologie. Sans prévenir, il fond en larmes. Mon coeur se brise et je me précipite pour le prendre dans mes bras. Je déteste le voir pleurer et surtout lorsque c'est à cause de moi. Je me sens coupable.

— Je suis désolée. Tu as raison, Logan.

— Moi aussi, je leur en ai voulu, soupire-t-il en repoussant sa tasse vide. Mais ils font des efforts, Zarah . Ils gèrent à leur manière. Ce n'est pas en rejetant ta colère sur les autres que tu améliorera la situation.

— Avec tout ça, je ne t'ai même pas demandé comment tu allais.

— Ça va. Le collège, c'est plutôt facile en fait. Mais les autres sont immatures.

— L'adolescence, cet âge ingrat...

Il sourit en séchant ses larmes. Comme moi, Logan a cette tendance compulsive à critiquer les autres. Je crois que nous tenons tous les deux cela de papa.

— Je ne te le fait pas dire ! Au fait, Sammie est passée. Maman l'a congédiée, mais j'ai pensé que tu pourrais vouloir lui parler.

Sammie était la meilleure amie de Callie. C'était une fille que mes parents jugeaient vulgaire, mais, selon moi, elle a toujours eu un bon fond. J'étais jalouse de ses cheveux roux, de sa silhouette de rêves et de ses cils longs au naturel. La dernière fois que nous nous sommes parlées, c'était il y a trois ans. Elle a ensuite tenté de reprendre contact avec moi, mais je l'ai laissée tomber, sous les ordres de mes parents. Il serait temps que je répare cela.

Finalement, papa n'est pas rentré ce week-end, prétextant que son collègue avait besoin d'aide au boulot. Ni Logan ni moi ne sommes dupes, nous savons tous les deux qu'il n'avait pas envie de venir. Chez les Bryant, la vie de famille n'est plus qu'un lointain souvenir... 

À chaque coup durOù les histoires vivent. Découvrez maintenant