Chapitre 5.2 :

19 2 0
                                    


Une fois que son stencil ait terminé de me transpercer la peau, je suis sur le point de tourner de l'oeil. Je me sens tellement faiblarde que j'ai peur de m'évanouir. D'ordinaire, je ne suis pas aussi silencieuse lors d'un tatouage : Delphine me décrit comme une vraie pipelette. Avec Spencer, c'est différent : j'ai l'impression qu'il analyse chacune de mes paroles.

— Tu veux un café, Zarah ? On dirait que tu vas t'évanouir.

Apparemment, mon malaise n'est pas passé inaperçu. Je perçois Spencer comme à un gardien de phare, repérant les marins en détresse. Il est là, à me scruter du coin de l'oeil, me faisant rougir à chaque fois qu'il s'approche un petit trop près. Il ne se moque pas de ma difficulté à rester stoïque, au contraire. Je ne sais pas pourquoi ça m'agace.

— S'il te plais, je lui réponds. J'ai mangé, pourtant.

— C'est donc ma présence qui te fait cet effet-là ? Je plaisante, ajoute-t-il vite en voyant que je le regarde d'un air outré.

Merde. Ce n'est pas un gardien de phare, c'est un télépathe. Gênée, je triture l'ongle de mon pouce. Spencer descend s'occuper du café, et le bruit de la machine couvre mes pensées. J'en profite pour me regarder dans la glace — même s'il est rouge, mon tatouage est une réussite. J'ai presque l'impression que Dean Winchester va m'emmener faire un tour en Impala. Callie adorerait ce tatouage, j'en suis sûre.

— Je n'en reviens pas de ne t'avoir encore jamais vu dans le coin, marmonné-je pour changer de sujet.
Ma remarque fuse sans que je ne puisse la contrôler. Ses yeux rencontrent les miens et le peu de courage qui me reste fond comme de la glace au soleil. Qu'il soit gardien de phare, télépathe ou juste emmerdeur, ça ne change pas grand chose, au final.

— Je viens d'Oxford, en fait. À la base, j'étais étudiant.

— J'imagine que tu as arrêté ? Tu étais en quel cursus ?

Un sourire goguenard se fend sur son visage.

— Journalisme. Je n'étais pas taillé pour le métier. Le lèche-bottisme, ça n'est pas trop mon truc. Et puis, j'étais entouré de filles. Et toi ?

— Je fais de la gestion.

Il hausse les sourcils, comme s'il ne croyait pas à ma réponse. Puis, il nettoie mon tatouage avec du savon et l'entoure de cellophane. Je retiens ma respiration à chaque fois que sa peau entre en contact avec la mienne — pas parce qu'il me plait, mais par manque d'habitude.

Trouve-toi toutes les excuses du monde, Zarah, ça ne changera rien... Et puis un mec comme lui a sûrement une copine.

— Toi, de la gestion ? me demande-t-il, sincèrement intrigué, en haussant la voix pour que je puisse l'entendre. Tu n'as jamais eu de problèmes avec tes tatouages ?

Quelques uns de mes profs m'ont fait des réflexions, mais dans l'ensemble, non. Merci, dis-je lorsqu'il m'apporte mon café.

Lui, en revanche, n'en bois pas. Nous restons quelques minutes là, sans rien dire, parce que nous n'en éprouvons pas le besoin. Mon regard tombe sur un cliché de groupe où Delphine et sa petite amie, Grace, posent toutes les deux que je reconnais Paolo, main dans la main avec Spencer. Que Paolo et Spencer se connaissent, ce n'est un scoop pour personne. Mais que Delphine le connaisse ? Pourquoi ne l'a-t-elle jamais mentionné ? 

À chaque coup durOù les histoires vivent. Découvrez maintenant