Chapitre 1.2 :

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La température glaciale de ce début de janvier m'arrache une plainte. Si à Londres, il n'y a pas un centimètre carré de neige, ici, à Hayes, dans le comté de Hillsborough, tout est blanc. Ce n'est pas très loin de Londres, pourtant. D'abord une village industrielle, Hayes s'est ensuite transformé en un patelin pour les familles. Ici, tout le monde connaît tout le monde depuis la naissance, mais de plus en plus de nouveaux habitants viennent s'installer ici, car la vie à Londres commence à devenir bien trop chère pour les foyers modestes.

Hayes est un village typique de la campagne anglaise, où tout le monde se connaît depuis l'enfance.

Petite, j'allais jouer avec mes voisins pieds nus dans les champs, et nous attendions que les nuages de pluie ne passent au-dessus de nos têtes. Mes parents avaient eu un coup de coeur pour cette bâtisse très années 1960. Même si les courants d'airs frais traversaient souvent nos chambres, nous adorions le confort et la sécurité que cette maison nous accordaient. Logan y était même né.

Mais toute cette saveur d'insouciance s'était volatilisée lors d'un funeste tour de magie. Thomas Cruz avait réussi son coup. Fermez le rideaux ! Le spectacle est terminé !

En poignardant Callie, il a brisé le coeur de mon père et celui de ma mère. Il nous a transformés, Logan et moi, en lambeaux de chair et de sentiments négatifs.

À première vue, on pourrait penser qu'en revanche, mes parents s'en sont remis. Au bout d'un mois, papa a recommencé à travailler à la clinique, en reprenant son travail de chirurgien esthétique. Ma mère, elle, a fait des heures sup' à l'hôpital, si bien qu'on ne la voyait plus vraiment, mon frère et moi. Elle prend son métier très à coeur, allant parfois jusqu'à délaisser sa propre famille.

D'ailleurs, mes parents se sont rencontrés au détour d'un couloir de leur hôpital. Callie est arrivée deux ans plus tard, puis moi et pour finir mon petit frère, Logan, un vrai trublion. Il a quatorze ans et c'est un hyperactif qui ne tient pas en place. J'essaie de positiver en me disant qu'au moins, je pourrais faire des batailles de boules de neige avec lui ce week-end.

L'hiver ! J'ai toujours adoré cette saison, même si je dois cumuler les vêtements, car je suis très frileuse. Aujourd'hui, je porte trois pulls et une écharpe, rien que pour m'empêcher de trembler de froid.

Dans le coin de la rue, assise dans sa vieille Renault bleue, ma mère m'accueille à bras ouverts, ses yeux vairons (un bleu et un gris) me dévisagent un instant. Depuis que Callie est morte, maman a cette tendance à m'admirer, comme si elle n'en revenait pas que je sois toujours en vie. Et parfois, cela me met un peu mal à l'aise : j'ai l'impression d'être étudiée sous toutes les coutures, comme si elle avait peur que je ne me brise en mille morceaux, moi aussi.

Je profite un instant de l'odeur de cannelle du désodorisant et de peinture avant que la discussion ne tourne au vinaigre. Les disputes, si fréquentes en ce moment, me semblent être réglées comme du papier à musique.

— Coucou ma puce, comment se sont passées tes quinze jours ? Je ne t'ai pas beaucoup eue au téléphone.

De la buée sort de ses lèvres gercées. Elle me prend dans ses bras et je me sens enivrée par son parfum fleuri.

— Ça va, maman et toi ? Je sais, j'ai eu une semaine difficile. L'école nous met la pression pour notre recherche du stage.

J'ai déjà fait cinq entretiens et n'ai eu aucune relance. Deux m'ont dit que mon profil ne leur correspondait finalement pas, ou qu'ils avaient trouvé quelqu'un d'autre. Quand à la trentaine de candidatures supplémentaires que j'ai envoyées, elles sont restées sans réponses.

— Ça va, merci ma puce. Viens, mets-toi au chaud, je vais t'aider pour ta valise.

Elle s'exécute tandis que je regarde passer un groupe d'ados s'amuser dans. La neige. L'un d'eux termine la tête la première sur le sol, riant aux éclats. La dernière fois que je me suis amusée ainsi, c'était avec Callie et papa, lors de notre randonnée dans les Alpes.

— Nous y voilà. Allez viens, on y va.

Nous parlons de tout et de rien durant le trajet, mais aucun mot n'est prononcé au sujet de Callie ou de papa. Maman et lui sont en froid pour une raison qui m'est inconnue. Lorsque je suis là, certains sujets sont tabous, car ils ont peur que je m'écroule : Callie, ma vie dépression, le procès de Thomas et surtout, le potentiel divorce entre mes parents. Callie était le pilier de notre famille, celle qui nous maintenait tous en vie. Désormais, elle n'est plus là, et nous sommes tels des fantômes, errant dans des ruines.

— Je t'ai peut-être trouvé un entretien. Je sais que tu ne portes pas les Hathaway dans ton coeur, mais le fils, Daniel, serait d'accord pour te prendre en stage.

— Daniel ? Celui qui fait du rugby et qui mordait Callie lorsqu'on était enfants ?

Le visage de ma mère se crispe lorsqu'elle entend son nom, comme si elle avait mangé un aliment trop amer. J'ai touché une corde sensible — le prénom de Callie est tabou, à la maison. Ma mère dit que c'est trop difficile pour elle d'en parler et mon père semble d'accord.

Ça me rend folle.

Je n'ai pas beaucoup d'occasions de prononcer le prénom de ma soeur à la maison, alors je saisis la perche. Daniel détestait Callie, qu'il jugeait bête à manger du foin. Il la taquinait sans relâche, mais mes parents prétendaient que c'était parce qu'il l'appréciait, en vrai.

Moi, je savais que c'était faux. Dès que les adultes ne regardaient pas, Daniel pinçait et mordait ma grande soeur. Un jour, vers l'âge de sept ans, je lui ai filé un coup de genoux dans les parties. Depuis, il lui a fiché la paix.

Je me demande s'il s'en rappelle.

Peut-être qu'il s'en veut d'avoir été vache avec elle, maintenant qu'elle n'est plus là.

— Oui, c'est lui. Mais tu verras, il a changé.

Cela, j'en doutais fortement, mais j'ai décidé de tout de même lui laisser le bénéfice du doute.

— Et mon père, est-ce qu'il a changé ? Et toi, maman ? Vous allez enfin oser aborder les sujets qui fâchent ?

Elle baisse les yeux, mais ne me répond pas en augmentant le volume de la radio.

Parfait.

À chaque coup durOù les histoires vivent. Découvrez maintenant