Chapitre 2.2 :

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Le dimanche matin, Samantha Louise Schmitt, surnommée « Sammie » semble surprise de me voir débarquer dans le jardin de ses parents. Fille unique, Sammie a toujours été pourrie gâtée : nous l'envions, Callie et moi, car elle avait tout ce qu'elle voulait — à quel point qu'elle nous donnait parfois les jouets dont elle se lassait. Sa maison est deux fois plus grande que la nôtre. Elle n'a pratiquement pas changée : la même pelouse parfaitement entretenue, les mêmes volets turquoise qui jurent avec les autres maisons du quartier. Maintenant, je remarque qu'ils ont une piscine. Forcément. Sammie a toujours rêvé d'en avoir une, son jacuzzi ne lui suffisait pas. Les Schmitt habitent à trois pâtés de maison de chez nous. Ses parents à elle, désormais à la retraite, étaient avocats, ils défendaient les enfants à problèmes. Remarque, avec Sammie, ils avaient eu le temps de s'entraîner : elle était, à l'époque, insupportable et manipulait les adultes avec une efficacité qui me faisait froid dans le dos. Avec du recul, je comprends pourquoi mes parents ne la portent pas dans leur coeur, mais à l'époque, elle était comme une seconde grande soeur pour moi. Je l'admirais.

— Zarah ! Entre, entre. Comment vas-tu ?

Elle est encore en chemise de nuit. J'avais oublié à quel point la maison était grande — ma chambre aurait pu entrer plusieurs fois dans l'entrée. À droite, j'entends quelqu'un qui s'affaire dans la cuisine. Un jeune homme chauve me salue de la main.

Soudainement intimidée, je sens une bouffée de chaleur m'envahir. Il me scrute de ses yeux gris.

— Ça va, merci. Et toi ? Je suis désolée de passer à l'improviste, Logan m'a dit que tu voulais me parler...

Sammie me lance un sourire éclatant. Ses yeux rieurs me rappellent les longues balades en forêt que nous faisions toutes les trois : je faisais tout pour qu'elle me remarque, tout pour qu'elle me parle.

— Je vais bien, merci ma belle. Eh bien... Tu n'es pas sur les réseaux sociaux et tes parents n'ont pas voulu me donner ton numéro... donc j'ai soudoyé ton frère. Au fait, c'est Wren. Wren, voici Zarah. C'est mon petit ami.

— Content de te connaître, Pooh.

Le dénommé Wren a une voix grave et rassurante. Il est vêtu d'un jean déchiré et d'un t-shirt en toute simplicité, mais comme moi, il a un bras recouvert de tatouages. Pooh. C'est ainsi que Sammie m'appelait autrefois, parce que j'avais toujours un sac à dos Winnie the Pooh lorsque j'étais enfant. Sammie était la seule à pouvoir m'appeler comme ça. Je m'étonnes qu'elle lui ait parlé de moi. En bien ou en mal ?

— Ne t'inquiètes pas, je lui ai dit que tu étais une fille super. Il est au courant pour Callie, ajoute-t-elle d'une voix hésitante, guettant mes réactions. J'ai cru comprendre que tes parents...

— Enchantée, Wren. Euh... À ce propos... Je voulais m'excuser.

— Ça n'est pas ta faute, mais tu aurais pu appeler. Viens dans le salon. Wren, peux-tu nous apporter à boire ?

Le jeune homme s'exécute, me laissant en tête à tête avec Sammie. Je me rends compte alors qu'elle semble moins éclatante qu'autrefois, comme si faire le deuil de sa meilleure amie l'avait ternie. Logan a raison, je dois arrêter de regarder mon propre nombril et m'intéresser un peu plus aux autres. Même si ma mère ne souhaitait pas garder contact avec les Schmitt, rien ne m'interdisait de ne pas le faire.

Après tout, à vingt-trois ans, ils ne sont plus censés contrôler mes relations...

— Sammie... Je n'avais pas mesuré à quel point tu souffrais.

J'ai l'impression de marcher sur des charbons ardents. Je n'ai pas l'habitude de présenter des excuses, et encore moins deux fois dans la même journée.

— Callie était comme une soeur pour moi. J'ai toujours considéré ta mère comme une sorte de seconde mère, même si je savais qu'elle ne m'appréciait pas forcément.

— Elle disait que tu avais une mauvaise influence sur nous.

— Elle n'a pas complètement tord. Regarde-toi, tu es toute tatouée, toi aussi. Je ne te croyais pas du genre à être fan des aiguilles. Ni des couleurs de cheveux bizarres.

Je souris et remercie Wren. Il nous laisse de l'intimité, comme s'il savait que discuter de Callie n'était pas une chose facile.

— Moi non plus, à dire vrai. C'est ça qui m'a aidée à expier ma douleur. J'avais besoin d'avoir mal, mais aussi de m'exprimer, tu comprends ?

Sammie hoche la tête. Elle porte une chemise de nuits à manches longues, mais je sais qu'elle aussi, elle est recouverte de tatouages tous plus différents les uns que les autres, créant une seconde peau faite d'images colorées et de symbole. Mon préféré est un l'éléphant finement réalisé lors d'un de ses voyages en Inde, tatoué à côté d'un petit houx sur son bras gauche. Je ne l'avouerais pas, mais je l'ai vu sur son compte Instagram.

— Je comprends totalement. Ces dernières années, j'ai été incontrôlable. Wren a même dû me dire stop, ou j'allais me tatouer aussi le visage et la pointe des pieds. C'était quand j'avais découvert...

Un silence s'installe entre nous. C'est Sammie qui a découvert le corps sans vie de ma soeur, baignant dans une marre de sang. À ce moment-là, l'appartement était entre-ouvert. Le miroir du salon et les lampes avaient été brisées, le canapé retourné. Ça avait dû être une violente dispute entre Callie et Thomas. Quand elle a vu que ma soeur ne respirait plus, Sammie a appelé les ambulances et la police. Puis, elle nous a contactés. Aux funérailles, ma mère, à ce moment ivre, lui a balancé qu'elle aurait dû l'appeler ou arriver plus tôt. Quand Sammie a retrouvé ma soeur, son corps était encore chaud. L'assassin, lui, avait semblerait-il disparu.

— Tu n'es pas responsable... Je suis désolée. Moi aussi, j'étais une épave. Je... J'avais confiance en Thomas.

Pour moi, Thomas était un jeune homme charmant, amoureux de ma soeur. Avec moi, il était sympa, mais sans plus. Toutefois, j'avais remarqué qu'il avait une tendance à la rabaisser ou à lui donner des ordres — ce n'étaient jamais des attaques directes, sinon mon père serait intervenu. C'étaient davantage des petites piques désagréables. Quand j'avais voulu en parler à Callie, elle prétendait alors que tout allait bien et que ce n'était rien.

— Tu sais quoi ? me fait soudainement Sammie en me regardant avec de grands yeux. Laissons ça de côté. J'ai besoin d'aide pour un vernissage — en hommage à ta soeur. Ta mère ne peut pas m'interdire de le faire. J'aimais Callie, moi aussi et ça elle ne peut pas me l'enlever. Tu serais d'accord pour m'aider ?

— Oui, bien sûr. Ce serait formidable, Sammie.

— Au fait, j'adore tes pointes rouges.

Dire que j'étais encore loin de me douter dans quoi je m'embarquais... Après l'avoir remerciée, je suis repartie chez moi, prête à reprendre le train. 

À chaque coup durOù les histoires vivent. Découvrez maintenant