Le bateau coule, le bateau coule et tous les hommes vont mourir. L'eau monte et il fait beau sur le pont du bateau. En haut du mât, la vigie voit la terre approcher mais elle a bientôt les pieds dans l'eau. Personne n'a l'air surpris et la vie sous l'eau s'organise autour du navire. On a jeté le capitaine par-dessus bord.
La vigie voit la côte, les fruits mûrs sur les arbres et les lièvres à chasser. Dans la cale, il fait encore sec. Les rameurs enfermés ne voient pas l'eau qui monte ni la côte. Ils triment seize heures par jour, quand ils ne triment pas ils dorment.
Le bateau verse. Une caisse s'éventre contre la coque, toute la graille répandue. Alors les rameurs lâchent les rames et vont fouiller les provisions. La coque est pleine de viande séchée et d'alcool fort. Les rameurs déchaînés fument le tabac du capitaine. Des filles se sont réfugiées dans la cale. Ils chantent, boivent, boivent encore et prennent les filles.
Le mât se noie et bientôt les marins, l'existence bâfrée dans un festin joyeux. Le vieux Bors engloutit tout ce qu'on lui lance et se laisse tomber à terre. Jamais il n'a eu l'air aussi fatigué. Le capitaine voit l'eau pleine des noyés et du bateau coulé. Il l'embrasse tendre par-dessus bord.