Chapitre 2

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Au bout de trois heures de route, mon compagnon de droite semble s'agiter. Je ne peux pas lui en vouloir. Il roule depuis plus longtemps qu'il ne le devrait. Deux heures de route maximum, c'est ce qu'ils disent toujours dans les spots de prévention routière. M'est avis qu'Oak s'en tamponne le cocotier, de la prévention routière. Comme du code de la route d'ailleurs : on ne reviendra pas sur le non port de la ceinture, de sa conduite plus que sportive, de sa tendance à rouler systématiquement au-dessus de la vitesse autorisée, et de sa manie assez effrayante de doubler par la droite sur l'autoroute... J'ai pris sur moi plus d'une fois avant de me faire une raison. Je suis donc soulagée de le voir bifurquer sur un parking à droite. Sans clignotant, évidemment ...

Nous stoppons devant une bâtisse en bois plutôt grande, de plain-pied, surplombée par une énorme enseigne lumineuse qui annonce le « Bear bar ». Hum, espérons qu'il s'agit juste d'un jeu de mots, et pas de la preuve de l'existence de vrais ours dans la région. Oak et Beer descendent aussitôt. Si le conducteur claque sa portière bruyamment sans même un regard pour moi, Beer a la décence de rester juste à côté de la voiture pour m'offrir sa main pour descendre du monstre métallique. Son comparse a déjà disparu dans le bar, alors que nous montons les deux marches menant au perron. Beer m'ouvre la porte pour me laisser entrer en premier. Assurément, il n'a pas tous les codes de la galanterie... Bon, en même temps, est-ce bien utile ici ? Ma remarque mentale me fait même rire intérieurement, tant elle est déplacée. L'éducation est tenace, parfois ... Je balaie l'intérieur des yeux. Des tables en bois, des murs en bois, un comptoir en bois... Ma foi, c'est assez conforme à l'idée que je m'en faisais de l'extérieur. Il y a même de quoi en faire un véritable cliché : des têtes d'animaux empaillés, et des armes de chasse.

_ Tu veux boire quelque chose ? me demande soudain Beer, me faisant presque sursauter.

_ Un Perrier, je veux bien, réponds-je aussitôt avec un sourire.

Beer me regarde comme si j'avais une corne sur le front, secoue la tête et marmonne quelque chose que je ne comprends hélas pas. Je m'installe à une table près de la fenêtre, pendant que Beer s'approche du comptoir pour passer commande au barman. Celui-ci tourne la tête vers moi, se met à rire de concert avec le vieil homme puis s'affaire en se retournant. Bon, ne pas se vexer ; apparemment, le Perrier, c'est pas le truc à commander ici. Je note. Un coup d'œil circulaire à la ronde m'indique qu'il n'y a nulle trace d'Oak dans la pièce. Où peut-il bien être ? Je l'ai pourtant vu entrer.

Je n'ai pas le temps de me poser la question que Beer revient avec deux verres pleins : pas la peine de demander pour qui est la pinte de bière fraiche qu'il pose devant lui avec des étincelles dans les yeux...

_ Tiens, un coca zéro, ça t'ira ?

Je souris en acquiesçant de la tête. Il fait chaud, alors toute boisson fraiche est la bienvenue.

_ Il reste beaucoup de route ? je demande après la première gorgée.

_ Moins de deux heures. C'est pas hyper loin à vol d'oiseau, mais ici les routes grimpent, alors ça rallonge le trajet.

Je termine mon verre pendant que mon compagnon de table savoure sa pression. Bon il semble que son nom soit un surnom, assurément ... Je m'éclipse aux toilettes quelques minutes puis reviens dans la salle. La porte à côté s'ouvre au même moment, et en sortent un homme inconnu et Oak, qui me jette un coup d'œil mais ne s'arrête pas. Ils ne se saluent pas, ne se serrent pas la main, mais se séparent d'un mouvement commun de la tête. Oak tient une grande enveloppe brune dans sa main, fermée. Quand il arrive au niveau de Beer, sans même lui jeter un regard, il lui lance :

_ On décolle.

Beer avale le reste de sa chope en vitesse et sort aussi vite, en m'invitant à le suivre d'un geste de la tête. Bon, il semblerait que je n'aie pas le temps de finir mon coca... Je les suis sans protester, monte dans l'habitacle, boucle ma ceinture et nous reprenons la route sans attendre. Et sans un mot. L'enveloppe est désormais posée sur le tableau de bord, juste devant moi. J'avoue que c'est assez intriguant. Visiblement, Oak n'apprécie pas mes coups d'œil à l'objet, parce qu'il se saisit de l'enveloppe et la fourre derrière son siège, en me jetant un regard noir. Ok, j'ai compris : ça ne me regarde pas ...

Six Rivers tome 1 : Lead [ Sous contrat Evidence Editions]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant