Il me faut quelques minutes pour me resituer ce matin, quand la sonnerie de mon téléphone m'extirpe des bras de Morphée. A moitié vaseuse, sans doute à cause du décalage horaire, je m'assieds sur le bord de mon lit, la tête dans les genoux. Bon sang, je n'ai jamais été du matin ! Les sœurs de l'école pour filles n'ont jamais réussi à m'habituer, malgré les réveils à six heures tapantes au son des chants grégoriens. Résultat, j'assistais à la messe du matin de sept heures à moitié endormie, avec pour conséquence de ne jamais me souvenir du sermon du jour de l'Abbé Thouvenin... Et lorsque la classe commençait à huit heures tapantes, je n'étais toujours pas opérationnelle !
Je saisis néanmoins ma trousse de toilette, j'ouvre la porte et pose la main sur la poignée de la porte de la salle de bain. Je sursaute quand elle s'ouvre violemment malgré moi : Monsieur Trammel en sort prestement, et je m'abats presque sur son torse. Nu, le torse. J'écarquille les yeux : il est loin d'être aussi longiligne que je le pensais de prime abord. Tout en muscles, il présente des abdominaux impressionnants, des pectoraux renversants et des biceps énormes. J'avoue que je sèche sur le nom des autres muscles, mais ils ne sont pas en reste, assurément. Mais ce qui me sidère le plus, ce sont les tatouages qui recouvrent la quasi-totalité de sa peau hâlée : une rivière et une chute d'eau en plein milieu, une femme de style pin-up sur la droite, un énorme crâne qui m'effraie carrément vers la gauche, et un mot au niveau du cœur que je ne parviens pas à déchiffrer, même en essayant de pencher la tête... Ah si « Anna », en lettres gothiques. Je ne suis pas fan de tatouages, c'est trop loin de ma culture, mais j'avoue qu'avoir réservé une place à sa fille sur son cœur, je trouve ça... touchant.
_ Vous voulez une loupe ?
Le son brusque de sa voix me sort de ma concentration, et je vire à l'écrevisse. Je relève honteusement la tête vers son visage, avant de croiser ses yeux noirs qui me terrifient.
_ Désolée, je marmonne. Je voulais, euh..., prendre une douche. Et puis aller réveiller Anna, après.
Sans répondre, il finit par se décaler, puis sort de la pièce pour me laisser la place. C'est là que je remarque qu'il ne porte qu'une serviette autour des hanches. Instinctivement, je tourne la tête, et il me semble entendre un ricanement. Un coup d'œil vers lui confirme bien qu'il est en train de se moquer de moi... A cause de ma réaction idiote ou de la chemise de nuit à fleurs que je porte et qu'il est en train de détailler d'un air narquois ?
Je referme précipitamment la porte et verrouille. Mes joues sont sans doute rouges. J'avoue que c'est la première fois que je vois un homme d'aussi près avec si peu de vêtements. Et quel homme... Guillaume n'avait vraiment rien à voir avec lui, ça, c'est sûr ! Je me suis déjà tenue aussi près, il m'a tenue dans ses bras de nombreuses fois, je l'ai même embrassé à plusieurs reprises, quand mes parents n'étaient pas dans le coin, mais je ne crois pas avoir ressenti ce genre de réaction à l'époque... Reprends-toi ma vieille. Ton patron est canon, ok, mais c'est un type bizarre, ne l'oublie pas !! Et là, franchement, ce n'est ni le lieu, ni le moment !
La douche est phénoménale : chaude, relaxante, revigorante. J'en profite pour me laver les cheveux, que je sèche en faisant un semblant de brushing, j'applique une crème de jour, puis ressort en renfilant ma chemise de nuit. Pas de maquillage, jamais. On m'a assez seriné que ce n'était que narcissisme et attisait la concupiscence. J'ai beau trouver ça un peu excessif avec le recul, j'ai encore du mal à passer outre... Un petit coup d'œil dans le couloir m'indique que Lead n'est pas dans le coin, et j'en profite pour filer vers ma chambre. Je choisis une robe longue un peu bohème, à fleurettes bleues, et enfile des sandales plates. De toute façon, peu importe ce que je porterai, je ne serai pas dans le ton du lieu. Alors ...
Lorsque je pousse délicatement la porte de la chambre d'Anna, j'ai la surprise de ne pas la trouver dans son lit, mais affairée à fouiller dans son armoire branlante. Les deux portes sont grandes ouvertes, et la fillette, les mains sur les hanches, observe passivement en poussant des soupirs d'exaspération.
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Six Rivers tome 1 : Lead [ Sous contrat Evidence Editions]
Roman d'amourQuand Jeanne, jeune institutrice française issue du milieu ultra-conservateur catholique, débarque en Californie du Nord pour débuter une nouvelle vie, et surtout fuir un mariage qu'elle ne veut pas, elle tombe de haut : loin du travail tranquille a...