Six Rivers tome 1 : Lead [ Sous contrat Evidence Editions]

Chapitre 5

Le lendemain matin, je ne croise personne à la salle de bain, faute à un réveil difficile. Est-ce que j'en suis peinée ? Peut-être bien ma foi. J'en aurais presque honte, mais je pourrais m'habituer à aimer croiser des abdos et des serviettes en éponge minimalistes. Ça ne me serait jamais arrivé quelques années auparavant. Mais j'avoue que depuis quelques temps, je me mets à y penser. Hormones ? Horloge biologique ? Ou tout simplement les phéromones du rez-de –chaussée couplées aux visions quotidiennes de scènes indécentes. Bref, il va falloir que je trouve un moyen de me canaliser.

Lorsque Anna et moi pénétrons dans la cuisine le lendemain, nous tombons sur un spectacle assez inattendu. M. Trammel est aux fourneaux. Il est en train de faire frire du bacon, et dans la poêle déjà sur la table se trouve une énorme quantité d'œufs brouillés. Anna ouvre de grands yeux mais s'assied sans rien dire. Je murmure un « bonjour » auquel le rustre répond un grognement que je prends pour une salutation façon « biker mal réveillé ». Il sert Anna, hésite un peu avant de m'en poser une cuillerée sans même me demander, puis s'installe à son tour. Notre premier petit-déjeuner ensemble se déroule dans un silence de mort. Sitôt son assiette terminée, Lead disparait dans son bureau en laissant tout sur la table. La vaisselle sera donc pour moi. Ma foi, vu le bond en avant que nous venons de faire en matière de thérapie familiale, je ne relève même pas. Il a fait l'effort. Pour sa fille, et mon cœur se gonfle pour elle. Rien n'est gagné, tout est à faire, mais c'est un premier pas.

Notre matinée studieuse se déroule dans le calme et la fraicheur du bar. Shanya arrive vers midi, alors que mon bœuf bourguignon et mes pâtes fraiches sont quasiment prêts. Elle fronce les sourcils, et remplit le frigo avec les courses de ses cabas. C'est donc elle qui fait les courses personnelles de Joshua Trammel ? En même temps, j'ai finalement un peu de mal d'imaginer le gars avec un caddie de supermarché. J'en ris encore quand l'individu en question quitte son bureau pour s'assoir directement en face de sa fille, déjà attablée. La miss, occupée à émietter son pain, ne lui adresse même pas un regard. Tout petit, le pas, tout petit... Lui, il ne salue même pas la belle brune qui a fait l'effort de lui faire ses courses. La politesse et lui, ça fait deux. Bon, quoi qu'il fasse, elle est folle de lui. Il suffit de voir les regards énamourés qu'elle lui envoie à longueur de journée dès qu'il passe dans son champ de vision. Alors pourquoi faire un effort ? Il n'a qu'à claquer des doigts pour l'avoir dans ses bras, et sans doute dans son lit... Un peu gênée, je finis par demander à Shania si elle veut manger avec nous en posant la cocotte en fonte sur le dessous de plat. Sa bouche esquisse un sourire, vite douché par un cinglant :

_ Shania n'a pas le temps, elle a du boulot au bar.

L'affreux n'a même pas levé les yeux de son assiette, qu'il est occupé à remplir. La belle ne demande pas son reste, et sort, sans doute vexée. Personnellement, je l'aurais été. Mais il n'a pas l'air de s'en inquiéter le moins du monde.

_ C'est quoi ? finit-il par demander, en fronçant les sourcils.

_ Bœuf bourguignon ! s'exclame Anna.

_ Y'a quoi dans la sauce ?

_ Du vin rouge. J'ai déniché une bouteille de vin de Californie sous l'évier. J'espère que ce n'était pas un grand cru. Je ne suis pas trop mauvaise en vins français, mais les vins d'ici, je n'y connais rien !

Devant l'enthousiasme de sa fille, il finit par prendre une bouchée. Ses pupilles se dilatent, mais je fais comme si je ne le voyais pas engloutir tout le contenu de son assiette avant de s'en resservir encore deux fois. Pas de merci, pas de formule d'adieu, il fait mine de se lever pour rejoindre son bureau, quand je l'interpelle :

_ Je compte emmener Anna faire un peu de shopping cet après-midi.

_ Et son boulot ?

_ Je lui ferai calculer les totaux de nos achats, ça lui fera sa séance de mathématiques du jour... Rien de tel qu'une mise en condition réelle pour asseoir des compétences.