Sans qu'ils ne se soient concertés tous deux savaient très bien que d'ici ce soir l'odeur sucrée du cannabis remplirait le salon. Ils finirent la liste des courses, chargèrent les cabas dans le coffre de leur voiture et prirent le petit chemin sous les arches que formaient les pins.
Devant le Leclerc de la zone commerciale, il y avait certes une queue, mais rien qui ne fut insupportable. Au bout de quinze minutes, ils se retrouvèrent dans l'hypermarché. Ce qui frappa le plus Lila ne fut pas tant que les rayons paraissaient moins remplis que d'habitude, mais surtout le regard que les gens portaient sur eux. Ils étaient les seuls qui ne portaient pas de protection sur le visage.
— S'il te plaît Asa, dépêchons-nous. Tout le monde nous regarde.
— Ouais on n'a pas pensé à mettre des masques. On finit ça rapide et on file.
Alors, ils chargèrent leur chariot de divers produit de première nécessité qu'ils complétèrent avec quelques bouteilles de vin.
Ils étaient enfin dehors, Lila sentait la pression des regards disparaître alors qu'elle chargeait au maximum le coffre de la Peugeot.
Ils reprirent la route. Plus ils s'éloignaient de la zone d'activité plus les voitures qu'ils croisaient étaient rares. La dernière voiture qu'ils croisèrent était une petite fourgonnette blanche, abîmée, qui les dépassa à vive allure tout en klaxonnant. Ni Lila ni Asael n'eut le temps de voir la personne au volant.
— Ils sont tarés les gens ! Comme s'il n'y a pas déjà assez de problèmes en ce moment, s'énerva Lila.
Asael ne répondit rien, il avait gardé les yeux fixés sur la route. Il secoua la tête de gauche à droite en soupirant.
Cela faisait quarante-cinq minutes que le couple roulait, lorsqu'ils tournèrent sur un chemin menant à un vieux corps de ferme. De loin, on aurait pu croire que la bâtisse était abandonnée et que la nature commençait à reprendre son dû.
La voiture faisait crisser sous ses pneus les graviers qui recouvraient le chemin jusqu'à l'entrée de la ferme. Justement, la porte d'entrée s'ouvrit à la volée. Une femme se tenait sous le porche. C'était une femme d'un certain âge, elle paraissait maigre et faible, mais il ne faut pas se fier aux apparences. Colette avait passé tellement de temps dans cette ferme à travailler la terre. La vie et son métier avaient rendu son corps aussi résistant que le roc.
— Ah c'est vous !
— Vous attendiez quelqu'un d'autre ? Demanda Asael tout en claquant la portière derrière lui.
— Eh bin y'a Granvelle qu'est partit avec le gendre pour lui montrer les arbres qu'il voudrait abattre.
Quand elle parla de son gendre, elle désigna la camionnette garée à la lisière des bois. Ils ne l'avaient pas vu lorsqu'ils s'étaient garés. Lila écarquilla les yeux lorsqu'elle la vit. Elle tira le bras d'Asael et lui glissa dans l'oreille.
— C'est celle qui nous a dépassés en venant !
— Oui j'ai vu.
Colette avait déjà pénétré dans l'ombre de l'entrée, elle tenait la porte derrière elle.
— J'vous ai préparé la commande. J'vous ai mis les œufs qu'vous avez d'mandés et aussi, j'vous ai mis deux choux-fleurs, des pommes d'terres, des poireaux, trois salades et quelques artichauts, puis les bouteilles de lait.
— Eh bien dis donc Colette vous nous avez gâtés ! Lila ouvrait les sacs plastique contemplant leur butin.
— Oh tu sais ma p'tite y a pas grand monde qui viennent en c'moment et nous, à deux ici on peux pas tout manger.
— Combien on vous doit ?
— Boah on a qu'à dire 35 €
— C'est très bien, voilà pour vous. Asael lui tendit les billets.
— Nan c'est moi qui vous r'mercie ! Dites, j'vous offre l'café ?
Asael regarda Lila qui semblait avoir l'air de vouloir rentrer chez eux le plus vite possible.
— C'est très aimable Colette, mais je suis un peu fatigué et Lila doit travailler. Vous comprenez.
— Ah oui ! Ça l'travaille ça me connaît.
— Encore merci madame Colette !
— Je vous en prie ma p'tite.
— Au revoir Colette, à bientôt !
— A'rvi pâ !*
Dehors près de la camionnette blanche se tenait Granvelle avec le gendre. Monsieur Lagrange se tourna vers le couple qui sortait de sa maison. Il leur fit un grand geste de la main accompagnée par un sourire éclatant. Le couple lui répondit du même geste. Le gendre qui accompagnait M. Lagrange, appuyé sur sa camionnette, ne broncha pas. L'ombre des arbres cachait son visage.
Asael et Lila remontèrent dans la voiture et reprirent la route en direction de leur cocon.
— Il n'a pas l'air super aimable le gendre des Lagrange !
— À vrai dire on en sait pas grand-chose, on ne l'a vu que de loin. Mais oui, je vois ce que tu veux dire, princesse.
— Moi je ne le sens pas ce type.
Pendant les trente minutes du chemin de retour du jeune couple, tous deux discutèrent sur l'attitude des gens durant cette épidémie, qu'ils soient de Paris où d'ailleurs cela ne changeait rien, tout le monde adoptait des attitudes à la limite de l'incivisme.
------------------------------------------------------------------------------------------------A'rvi pâ !* : Au revoir en patois savoyard
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Migraine III
HorrorLe couple réussit finalement à s'installer, les troubles des jours derniers sont maintenant derrière eux. Tous va pour le mieux. Enfin presque.