Rude [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]

Chapitre 60

- Pour la dernière fois, non, non et non. Je ne l'ai peut-être pas dit, mais non!

- Pardon? J'ai pas bien compris, lance Mia en plaçant sa main en éventail près de son oreille pour m'embêter.

Je me cogne le front d'exaspération contre le bois lisse de la table dans la salle à manger des employés. J'ai dû mal calculer mon coup parce que le choc est plus douloureux que prévu. Je me masse le front en fusillant mon amie du regard comme si c'était de sa faute.

Ça l'est un peu d'ailleurs. Si elle arrêtait de m'embêter avec cette histoire de fête, je n'aurais peut-être pas ressenti le besoin de m'assommer. Elle et le rouquin de malheur assis à côté de moi ricanent. Grand bien leur fasse.

Je me fais un point d'honneur de les ignorer et enfonce un paille rose dans mon verre de sprite. Evidemment, ce n'est pas nécessaire mais quitte à être constamment prise pour une enfant, autant bénéficier des avantages qui vont avec et le statut et la paille en fait partie.

Je fixe les bulles de gaz qui éclatent tour à tour dans mon soda quand Mia se remet à plaider sa cause avec une véhémence que je salue et un air feint de désespoir auquel je ne me laisse pas prendre une seconde.

- Allez Lily! Tu te rends compte que t'as dix-huit ans et que tu t'es jamais pris de cuite?

- Hum, oui parce que c'est interdit par la loi! Je ne suis pas en âge de boire, voilà tout, je rétorque en soupirant.

- C'est pas la question, balaye-t-elle d'un geste négligent de la main qui fait cliqueter ses bracelets métalliques. Tu ne réalises pas à quel point c'est triste. C'est triste, n'est-ce pas Jace?

Mon dieu, faites qu'il ne s'y mette pas aussi.

Mia se tourne vers lui en l'appelant pour la première fois par son prénom. Sale manipulatrice. Je pivote en direction du palefrenier pour attendre un peu d'aide de sa part mais, à ma grande horreur, il se range de son côté.

- Désolé Lily mais c'est la vérité, ça fait parti des expériences de la vie. Tu dois être bourrée avant d'entrer définitivement dans tes dix-huit ans. C'est comme une sorte de virginité à dépasser.

Je recrache ma gorgée de soda de manière peu élégante et une partie du liquide doit s'être trompé de canal parce que le gaz me pique le nez.

- Arrête, je m'écrie en hésitant encore entre rire ou l'insulter, ne dis pas ça, bon sang!

- Quoi? Virginité? se moque-t-il de moi. Allez Lily, accepte, ce sera cool.

- Sale traître. Vous vous rendez compte que ce que vous faites, ça s'appelle la pression des pairs et c'est très mal vu. En plus, pourquoi est-ce que vous voulez me faire boire? Le cancer du pancréas, ça vous dit quelque chose?

- T'exagères, marmonne Mia en piochant dans un bol de pistaches, on te demande pas de devenir alcoolique. T'es même pas obligée de boire si tu ne veux pas, c'est pas important. On veut juste que tu t'amuses un peu. T'es tout le temps sur la défensive. T'aimerais pas faire une pause juste quelques heures?

Je ne réponds rien parce qu'elle vient de taper dans le mille même si elle ne sait pas vraiment de quoi elle parle. La plupart du temps, je me sens... coincée. Bloquée à l'intérieur de moi et dans ces moments là, j'aimerais juste être quelqu'un d'autre, seulement pour un moment. Voir ce que ça fait de ne plus être Lily Williams, la petite princesse orpheline de cœur, timide et peureuse, sans éclat.

Mon regard se perd par l'une des grandes fenêtres de la pièce et erre dans la cour baignée de la lueur orangée du soleil couchant.

Mia doit sentir mon bref moment d'hésitation parce qu'elle se jette dans la brèche qu'elle vient de percevoir comme une lionne sur un herbivore blessé.