Royce

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- Je crois que Royce est en train de tomber amoureux.

Je pose distraitement au sol les deux poignées de portières que je viens de démonter. Perdu dans un fourbi de pensées plus sombres qu'une nappe de pétrole, les yeux braqués sur la carrosserie d'une caisse trop bien foutue que je fixe pourtant sans vraiment la voir, il me faut un moment pour percuter.

En principe, je fais pas vraiment gaffe à ce que raconte Hunter: ce type a élevé la connerie au rang de discipline olympique et la merde qui s'échappe de sa bouche est au mieux inintéressante. C'est juste un bruit de fond un peu désagréable auquel on finit par s'habituer, comme ces sons emmerdants que font les mômes avec leurs bouches et qu'on apprend à ignorer. J'ai décroché y a vingt minutes dès qu'il a commencé à se plaindre à propos de son estomac qui fait trop de bruit.

Quand l'aberration qu'il vient de sortir finit par effleurer ma cervelle anesthésiée, je bugge. Je sursaute brutalement et redresse la tête aussi sec pour fixer ce débile. J'ai avalé ma salive de travers et je me retrouve à tousser comme un abruti pour éviter qu'elle finisse dans mes poumons. 

Putain de merde!

C'est quoi ces conneries, encore? Qu'est-ce qu'il vient de dire?

Ah parce qu'en plus du reste, t'as des problèmes de surdité? Joue pas au con, t'as très bien entendu, Walters.

Debout à quelques mètres dans ses vêtements de travail dégueulasses, l'enjoliveur qu'il vient de séparer de la roue à la main, Hunter m'adresse son sourire de tête à claque. Normalement, je serais déjà en train de réfléchir à l'allure du sourire en question si je supprimais quelques dents à l'équation mais je suis trop choqué pour y penser.

Paralysé, la mâchoire tellement crispée que je me demande si je pourrais à nouveau bouger cet os un jour, je fixe en silence le boulet qui nous fait office de compagnon de misère. Qu'est-ce qui lui prend de balancer un truc pareil? Il a intérêt à s'expliquer, putain. Et rapidement s'il tient pas non plus à découvrir ce que donnerait son sourire de barjo avec quelques incisives en moins.

Bordel, si c'est Diego qui a ouvert sa gueule... 

Et pour dire quoi? Continue Walters, ça devient intéressant.

Malaise.

Je jette un rapide coup d'œil à l'accusé le temps d'évaluer la situation, juste histoire de voir s'il mérite aussi que je lui refasse le portrait. Ce serait pas dans mes habitudes mais s'il se met à répandre ce genre de rumeurs sur mon compte, je pourrais bien réviser mes limites.

Il s'est redressé pour m'observer et je vois bien que ce bâtard se mord l'intérieur de la joue pour ne pas sourire. Y en aura au moins un que la situation amuse parce que c'est pas du tout mon cas. J'ai vraiment pas la tête à endurer leurs conneries pour le moment.

T'as jamais la tête à rien.

Je me détourne pour me concentrer sur l'autre débile. Je ne le lâche pas des yeux à part pour me pencher par la portière ouverte de son tacot pourri et couper l'autoradio qui crache son poison auditif et me grille les neurones depuis une bonne heure. 

Hunter soupire et je hausse les sourcils à son intention pour lui faire comprendre que ma patience atteint ses limites mais il a pas l'air de capter. Il fronce les deux traits blonds presque invisibles qui lui servent de sourcils et se gratte l'arrière de la tête.

C'est pas possible d'avoir l'air aussi con. On dirait un putain de personnage de BD.

- Tu m'expliques? je siffle sans desserrer les dents.

Rude [Sous contrat d'édition chez HACHETTE ROMANS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant