) Anna est libre

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Les pavés étaient encore humides, la pluie s'y abattait encore quelques minutes auparavant. La pluie ne lui était pas désagréable, elle l'aimait comme une amie, c'était la seule qui laissait couler ses larmes le long de ses joues. La pluie se mêlait à celles-ci de manière à  les cacher d'éventuels passants qui n'auraient su que juger avec mépris et condescendance ce relâchement, cette faiblesse que de montrer en public sa peine, cette abomination qui les tirerait de leur innoncentes rêverie, eux ces pauvres passants encore le sourire aux lèvres et qui n'avaient rien demandé à personne. Ses larmes ne feraient que retirer le sourire béat de leurs facies. Elle tenait encore assez à eux pour ne pas briser leur innocence .Eux, les gens souriants et insouciants . Charmants et ignorants. Les gens heureux.

Heureux

Ce mot ne signifiait plus rien dans la bouche d'Anna. Il était devenu au fil de sa vie un mot terne, un mot vide, relique d'un passé révolu, son passé à elle. Elle ne se souvenait pas de la dernière fois ou elle a sourit. Vraiment sourit. Pas le sourire de façade d'un commercial ou le sourire qu'elle arborait honteusement en public, non. La dernière fois que les muscles de son visage se sont contractés inopinément afin de soulever le coin de ses lèvres pour produire cet arc de cercle, symbole presque religieux, la croix de notre société moderne. Car qui n'aime pas voir un sourire? C'est laid de voir quelqu'un qui pleure, il faut vite s'empresser de le consoler afin qu'il sourie à son tour et empêche ainsi quiconque qui aurait tenté de le suivre dans sa tristesse larmoyante et qui aurait ainsi fait tâche dans cette foule d'arcs de cercle. Il y a-t-il encore quelqu'un qui veuille s'opposer au bonheur d'être heureux?

Bonheur

Anna avait aussi oublié la signification de ce mot. Elle avait oublié la signification de nombre d'entre eux lorsqu'elle fit la connaissance de nouveaux. Dépression, viol, suicide, mort. Tous ces mots nouveaux avaient désormais plus de signification pour elle que n'importe quel autre. Peut-être avait elle perdu ce savoir lorsqu'elle perdit sa virginité, lorsqu'il s'est couché sur elle lorsqu'elle était endormie.
Elle n'était désormais plus que douleur et larmes, et la seule qui ne s'efforçait pas à la faire sourire pour le bien commun, c'était sa douce amie, la pluie. Elle la comprenait elle qui versait de l'eau du haut des ses nuages, pendant les averses comme les orages. Son eau à elle n'était pas salée comme celle d'Anna voilà tout.
Mais la pluie s'en était allé, le soleil l'ayant chassé. Tout le monde peut voir les larmes couler sur les joues d'Anna désormais. Elle s'empresse bien vite de les essuyer et de rentrer chez elle.
Une fois à l'intérieur elle décida de sortir du rang d'arcs de cercles béats et de laisser couler sa peine sur ses bras. Elle monta à la salle de bain, et libéra l'eau  du robinet dans la baignoire . Elle se saisit d'un rasoir et libèra à son tour la peine de ses poignets. La pluie revint faire ses adieux à son amie. Coulaient à présent la pluie, l'eau du bain, son sang et ses larmes. Et tous s'accordèrent à ne pas suivre la courbe de l'arc de cercle, mais à couler tout droitement et librement.
L'arc de cercle courbe l'échine, les droites de la mélancolie l'ont transpercé de leur dard. Elle ne sont plus sous son son joug.
Anna est libre

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