Chapitre 11 : Mort

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"Ne vous étonnez pas de cela ; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix, et en sortiront.
Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement. "

Évangile selon Jean, 5:28-29


Damian, du haut de son cheval pâle, contemplait l'homme qu'il attendait depuis trop longtemps. Cela faisait des lustres qu'il rêvait de ce moment, ce moment où il pourrait enfin accomplir le but ultime de sa vie : endiguer cette épidémie qu'était l'Humanité. Ce sourire qui s'étirait sur ses lèvres ne le quittait plus depuis qu'il avait enfin mis la main sur l'ultime pièce du puzzle, celle qui lui permettrait d'accomplir sa destinée. Destinée dont trouver Edgar marquait le début de l'acte final, mais qui avait commencé à se dessiner dès le Moyen-Âge.

***

Damian était né en 1317 à Brême, en Allemagne. Fils d'une famille noble, il avait entamé des études de médecine et, à l'âge de 20 ans, il était parti en France étudier à l'Université de Paris. Mais, sans réel de talent et surtout, sans aucun investissement de sa part, il n'avait jamais réussi à obtenir son doctorat. En effet, Damian était bien trop frivole. Il préférait largement la compagnie des femmes dans les bordels à celle des professeurs dans les salles de classes de l'université. Après cet échec cuisant, il avait tenté de revenir vivre chez ses parents, mais ces derniers, las de voir leur enfant vivre dans la débauche, l'avaient très vite déshérité et mis à la porte.

Sans argent ni profession, et maintenant sans famille pour l'entretenir, le jeune homme avait eu besoin de trouver un moyen de se nourrir et de se loger. C'est alors que lui était venue l'idée d'utiliser le peu de connaissances en médecine qu'il avait retenu de ses cours afin de se faire passer pour un médecin. Son idée en tête, il avait passé quelques mois à voler dans les bourses ou sur les étals afin de se constituer une somme de départ pour pouvoir mettre en place son projet.
Une fois un pécule suffisant réuni et son rôle de médecin endossé, il avait sillonné l'Europe, de Brême à Lisbonne, de Lisbonne à Londres, de Londres à Milan, profitant de la détresse des gens pour leur vendre des produits miracles qui ne fonctionnaient pas ou des soins factices, le tout au prix fort.
De toutes ses arnaques, sa préférée restait de loin celle où il donnait des sucreries empoisonnées aux enfants. Lorsqu'inéluctablement, ils finissaient par tomber malade, Damian se présentait aux parents en leur vendant les mérites d'une potion présentée comme un remède miraculeux, capable de guérir n'importe quelle maladie. En réalité, la mixture contenait un simple antidote au poison qu'il avait lui-même inoculé à leur progéniture, mais les gens, voyant que ce breuvage fonctionnait vraiment, finissaient souvent par le lui acheter au prix fort. Bien entendu, il y avait eu de nombreux cas où l'enfant avait succombé au poison avant que l'antidote lui soit administré, et il arrivait également que les parents n'aient tout simplement pas les moyens de payer la potion miracle.
Mais cela ne donnait aucun cas de conscience à Damian. Ce n'était pas son problème.

Cette vie de charlatan et de criminel lui avait permis de s'enrichir très vite, et de remettre sa vie sur les rails de la débauche qu'il avait été contraint de quitter depuis que ses parents l'avaient mis à la porte. Mais inexorablement, cette vie malhonnête, acquise au prix de multiples vies et par des moyens condamnables, ne pouvait pas durer. Comme l'affirme le dicton : le crime ne paie pas.
Alors qu'il sévissait dans les rues de Marseille lors de son passage en France, utilisant son astuce favorite pour arnaquer les habitants, le médecin factice avait été surpris en train de distribuer ses friandises empoisonnées aux enfants. Il avait aussitôt été jeté au cachot, avant d'être condamné à mort. Il n'avait alors que 30 ans.
À cette époque, le châtiment pour les simples roturiers étaient la pendaison, une mort lente et douloureuse. Damian avait longuement essayé de convaincre ses geôliers que du sang bleu coulait dans ses veines, afin de pouvoir bénéficier d'une mort rapide par décapitation. Mais évidemment, personne ne l'avait cru.
La corde au cou, attendant que son bourreau applique la sentence, il avait repensé à sa vie. Et elle était pleine de regrets.
Pas qu'il regrettât la mort de tous ces enfants empoisonnés par ses soins, ni même qu'il pleurât les dizaines de familles qui avaient été ruinées par sa faute. Non, ce qu'il regrettait, c'était de ne pas avoir commencé plus tôt cette vie de luxe malhonnête, afin de profiter au maximum des délices qu'elle lui avait offerts.
Alors, devant ce sort funeste et implacable, il avait souri. Un sourire résigné, résigné et démoniaque à la fois. Puis, il avait basculé dans le vide et avait fermé les yeux, pensant ne plus jamais les rouvrir.

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