CHAPITRE 2 :

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* Trois semaines plus tard *

Je m'appelle Grace Kilksons, j'ai 54 ans et je suis internée à l'hôpital psychiatrique de Silence Lake depuis 1915.

Tu vas sans doute me demander pour quelle raison je me retrouve à croupir ici, mais tu n'en sauras rien. Qui est-ce qui t'as envoyé ? Le vieux fou du couloir B ou la petite peste en camisole ? Oh et puis ça ne fait rien, il n'y a pas que ces deux-là qui sont capables de t'envoyer à moi. Je suppose que tu es ici pour l'histoire ? Tu veux l'entendre toi aussi, c'est ça ? Si on t'a bien renseigné, tu sais alors que ce n'est pas gratuit ?
Tu connais les modalités et la marche à suivre ou faut-il que je me répète ? J'ai l'impression de passer ma vie à me répéter.

Mais qu'est-ce qu'on m'a encore refilé ? Bon, je m'explique une fois et uniquement cette fois. Tu as intérêt de tout retenir dans ta petite tête boursouflée ou alors prend de quoi noter, parce que tu n'as pas l'air très intelligente et il est rare que mon instinct me trompe. Tu es donc ici pour connaître l'histoire que je connais sur le bout des doigts et que personne n'ose raconter ici. Paraît-il qu'elle est beaucoup trop affreuse pour sortir de la bouche de certains, mais la mienne ne cesse de raconter à tous les nouveaux imbéciles comme toi, un peu trop curieux.



La première chose à savoir, c'est que j'établie un contact physique lorsque je raconte. Je ressens ta peur, ton dégoût et j'aime ça. Chacun son petit plaisir, tu as ton histoire et moi, je bois tes émotions. C'est ce qui me motive à ressasser ces vieux souvenirs. C'est donc pour cela que tu devras me donner la main à chaque séance. Me suis-je bien fait comprendre ? De plus, je ne réponds à aucune question et je choisis sur quelle partie de l'histoire je souhaite m'étaler. Pas la peine d'insister, il n'y a aucune négociation à ce sujet, c'est compris ? Et puis en ce qui concerne le prix à payer, tu travailles pour moi jusqu'à ce qu'on termine l'histoire, ainsi que deux mois de plus pour les intérêts et les efforts que ça me coûte de raconter ces souvenirs lorsqu 'on est une vieille dame comme moi.

Quand je dis « travailler pour moi », ça veut dire que tu dois intégrer la cuisine du sanatorium et tu te chargeras de faire passer la poudre que je fais entrer ici. Ce sera ta tâche principale. Il se peut également qu'un jour, tu sois réquisitionné pour diverses tâches. Le gardien qui s'occupe de mon trafic, vous donne toutes les informations nécessaires en temps voulu. Et avant toutes choses, je vais te poser une question à laquelle tu seras obligé de répondre, afin de me laisser juger ta capacité à écouter cette histoire.

C'est là la différence entre nous : toi, tu réponds, moi non.
Toujours partante ?

- Oui, quelle est votre question?
- Pour quelle raison es-tu ici, au sanatorium Silence Lake ?

- J'étais au centre de détention d'Atlanta, mais mon médecin à voulu m'envoyer ici car il dit que c'est le mieux à faire pour je cite « des cas comme moi».

- D'accord, mais ça, j'avais cru le comprendre. Ce que je veux savoir, c'est, qu'as-tu fait pour être incarcérée?

- Avec tout le respect que je vous dois madame Kilkson, je ne vous connais pas. On m'a juste dit que si je souhaitais survivre ici, il fallait que je connaisse l'histoire. J'ai mis trois semaines à trouver comment la connaître, alors désolée, mais je ne risquerai pas ma vie pour les raisons de mon incarcération.

- Fort bien, c'est exactement la réponse que j'attendais. Je déteste ceux qui se vantent de leurs exploits morbides. Tu es peut-être moins idiote que tu en as l'air. On commencera l'histoire après le déjeuner dans la salle de télévision. Je suis certaine que le patient KG375SLS t'intéressera.

**

- Gardien, pouvez-vous ouvrir ma camisole pour que je puisse lui tenir la main s'il vous plaît? Maintenant le contact établi, je peux commencer. Il faut savoir que le patient KG375SLS est le patient le plus dangereux, manipulateur et fou que tu puisses croiser ici. De sa voix charmeuse, il peut te faire croire ce qu'il veut, et finir par t'enterrer vivante. Tout a commencé quand il était encore loin de Louisville. Il était déjà très dérangé mentalement et il se servait des gens pour son propre plaisir ...

- Kilksons, tu recommences avec cette histoire abracadabrante ? Tu commence à te répéter dis donc, tu te fais vieille.

- Cesse de m'interrompre gardien ! Tu étais là en 1915 quand il est arrivé dès l'ouverture du sanatorium ? Non. Tu n'étais même pas né alors ne viens pas donner ton avis sur une histoire dont tu ne connais même pas la moitié. Et surtout ne m'interrompt plus une seule fois, sinon tu risquerais de regretter tôt ou tard, tu peux me croire.
- Bien Grace, excuse moi. Ça ne se reproduira pas.

- Je disais donc, avant que cet imbécile ne m'interrompt, que cela commence bien avant sa petite vie à Louisville. Le patient KG375SLS, que l'on appellera 375, a commis un acte jugé horrible, mais qui me fait toujours frissonner quand je le raconte. 375 a kidnappé, torturé, tué, violé, coupé et mangé plusieurs hommes. Tout cela, dans cet ordre précis : kidnapper. Torturer. Tuer. Violer. Couper. Manger.
Il réalisait ses exploits dans son appartement, au troisième étage, et jusque-là, personne n'avait remarqué quoi que ce soit. On dit que personne ne s'était aperçu de la disparition des victimes, jusqu'à ce qu'il s'en prenne à un enfant. Paraîtrait-il que les adultes étaient des étrangers, immigrés depuis peu aux États-Unis et que c'était la bonne opportunité pour que cela reste secret. Personne ne pouvait remarquer leur disparition, puisque personne ne les savait ici. Il a alors commis le geste de trop, et surtout une seule erreur, qui lui a coûté sa liberté. Il a kidnappé un enfant originaire des États-Unis. Cette erreur lui a été fatale. Ils ont retrouvé la jeune fille avant qu'il ne se mette à la torturer, fort heureusement pour elle. Il a été arrêté et jugé très rapidement.

La prison était beaucoup trop inconfortable pour 375, il voulait plus que ça, quelque chose de plus excitant que des tueurs en série ou des condamnés innocents. Il était plein de ressources et d'après lui, son œuvre valait plus qu'un matelas à même le sol et des barreaux de fer comme paysage. Il travaillait plus que ce qu'il en était capable. Il était un monarque en prison, et pour le punir, on le torturait plus fort à chaque fois., toujours plus fort. Essayant de le dissuader de continuer, mais rien ne l'atteignait, il aimait souffrir. C'était excitant pour lui, on peut même dire que ça le motivait encore plus. C'est alors qu'il a eu une idée de génie pour sortir de prison et finir ici, à Silence Lake.



Lors d'un repas, il a saisi sa fourchette et à l'aide de celle-ci, il s'est arraché les yeux devant tout le monde, en plein milieu du réfectoire. L'horreur était telle qu'on l'eut transféré une semaine après. Il a été soigné et bien évidemment, il n'a pas retrouvé la vue. Les médecins ont été contraints de lui coudre les paupières pour cacher au mieux le désastre qu'il avait provoqué. Tout le monde savait ce qu'il avait fait avant qu'il ne passe les portes du sanatorium, mais jusque-là personne ne le craignait encore. Il lui aura fallu à peine une semaine pour choquer et traumatiser l'ensemble de Silence Lake. Autant le personnel que les patients, et tout cela, sans même voir. C'est un individu qui aurait dû rester en prison, ou même être exécuté, car il est beaucoup trop dangereux, pour lui-même ainsi que pour les autres. Malheureusement, il a quand même eu le droit à une semi-liberté.

Le gardien s'approche doucement tout en gardant une distance de sécurité importante.



- Grace, il est temps d'y aller maintenant, ça va être l'heure de prendre ton traitement.

- Oui gardien. Jeune fille, nous reprendrons l'histoire plus tard. Tu en sais déjà pas mal sur ce fameux 375. Et dis-moi, quel est ton numéro de patient?

- C'est LL568SLS.

- D'accord, il était important pour moi de savoir à qui j'ai affaire. Je t'appellerai LL. N'oublie pas ce que tu as à faire pour moi. À plus l'ami.

J'ai donc regardé madame Kilkson remettre son attirail de guerre : sa camisole, ses menottes aux poignets et celles aux chevilles.
Elle est sortie de la pièce tant bien que mal, par petits pas, accompagnée du gardien.

Silent LakeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant