CHAPITRE 5 :

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Silent Lake, 1949.

Aujourd'hui est une journée particulière. Rien ne se passe comme d'habitude. On nous a laissé une heure de plus dans nos chambres puis on nous a emmené dans le grand salon alors qu'on peut y aller que très rarement habituellement. Il faut qu'on ait une visite familiale ou un gardien dans la poche, ou encore plus rare, un comportement exemplaire qui nous permet d'aller y passer un moment. Moi, j'aime ce salon. On l'appelle "salon " parce qu'il y a huit canapés. Ils sont par quatre et forment un cube, pour que tout le monde puisse se voir, comme des petits îlots de canapés.En réalité dans ce salon, il y a beaucoup plus de tables que de fauteuils. Sur certaines, on joue aux cartes, sur d'autres au Scrabble et sur les dernières, on dessine. Mais ce que je préfère dans ce salon ce ne sont pas les jeux : c'est le Juke-box. C'est rare que je puisse choisir la musique, mais quand j'ai le droit, je mets toujours la n ° 8 parce que c'est du classique. Grace aime plutôt bien le classique alors elle me laisse faire. Même ici elle a de l'autorité, c'est toujours elle qui choisit qui joue et avec quelle musique.D'ailleurs, aujourd'hui, elle n'est pas ravie parce que personne ne travaille, nous n'avons pas le droit de sortir du salon et donc ça arrête le trafic en cuisine. Résultat on est beaucoup dans le salon pour une fois et ça ne plaît pas vraiment aux mamies habituées au calme ici. C'est le genre de personnes qui ne parlent jamais, on en oublierait presque leur existence dans des circonstances normales.Aucun gardien ne voulait nous informer de la situation pour le moins très étrange. Et étrange n'était pas un mot assez fort pour décrire ce qui se passait ici, nous étions loin de nous douter à quel point cette journée serait longue, mais on a vite compris que la situation dégénérait lorsqu'on a vu entrer dans le salon une dizaine de gendarmes.Chacun d'entre nous a été emmené dans une autre pièce chacun notre tour.Ils avaient une liste avec tous nos noms qu'ils barraient petit à petit. D'un coup, il y en a deux qui entrent dans le salon et qui disent « Patiente JJ568SLS suivez nous s'il vous plaît. »Je ne sais pas pourquoi, mais je fusse prise de panique alors que je n'avais absolument rien à me reprocher, hormis mes crimes et le trafic de Grace. Peut-être que c'était le trafic de drogue, ça expliquerait pourquoi personne n'a le droit d'aller travailler !Mes pensées sont balayées en un instant lorsqu'ils m'assoient d'un coup sur la chaise et me menottent à la table.- Mademoiselle ... LL ... Dit-il en regardant sa feuille à la recherche de mon nom.Vous savez pourquoi vous êtes ici ? Bien sûr que non ! Et puis si vous le saviez, vous ne le diriez pas.Et il enchaîne questions et réponses comme ça durant cinq minutes jusqu'à ce qu'il dise « suicide ».- Le suicide ?- Affirmatif mademoiselle LL. C'est de votre infirmière dont je vous parle depuis une demie-heure là ! Vous comprenez ?- Mon infirmière ? Le suicide ? Attendez, je ne comprends pas ...- Bon écoutez moi bien LL, je n'ai absolument pas le temps pour votre cinéma. Votre infirmière s'est suicidée. On l'a retrouvée pendue ce matin dans une remise près de l'entrée. Donc, à moins que vous ne le fassiez exprès, vous comprenez qu'on a besoin d'informations !- Oui oui, je suis juste un peu abasourdie, je l'ai vu hier et rien ne m'a semblé... différent.- C'est typique chez les suicidaires, mais vous ne pouvez pas comprendre, vous qui ...Et quelqu'un entra dans la pièce. - Libère là, on a un suspect avec des antécédents convaincants.Il m'a renvoyé dans le salon avec les autres en moins de dix secondes et Grace avait l'air perturbée.Je suis allée la rejoindre et son visage m'a semblé encore plus fermé que d'habitude.- Qui est soupçonné ? Lui demandais-je.- Tu penses que c'est le moment de poser des questions ? Et puis depuis quand tu poses des questions toi ? Fiche moi la paix.Je me suis éloignée sans en demander plus. Histoire étrange dans un endroit étrange, il fallait que je mène l'enquête. C'est à ce moment que j'ai aperçu le directeur parler avec des gendarmes. J'ai essayé de capter quelques informations de leur conversation et le seul morceau que j'ai entendu avant que l'on m'éloigne était «MP386 ...»Par déduction, je me suis dit que c'est peut-être le nom du patient soupçonné, mais je ne savais pas qui c'était. Hors de question de parler à Grace pour le moment, impossible d'avoir la liste des gendarmes, il fallait que je cherche quelqu'un qui connaissait tout le monde."Eh toi !", M'interpella une vieille du scrabble, viens jouer avec moi.Elle me regardait avec un air intéressé, alors je me suis assise à table et c'est alors qu'elle me dit : « Je te vois faire ta petite enquête, qu'est-ce que tu cherches exactement ? »C'était ma chance, elle est là depuis l'ouverture du sanatorium !- Qui est le patient MP386?- Oh 386, c'est un gars vachement dérangé. Pourquoi me parles-tu de lui ?- Je ne sais pas, j'ai entendu son nom et je voulais savoir. Pourquoi est-il ici ?- 386, c'est un tordu, comme nous tous ici, mais il n'a pas tué au moins. C'est un vieux comme moi, il peine à marcher aujourd'hui. Je crois qu'il a été arrêté pour exhibitionnisme et on l'a envoyé ici pour essayer de le soigner, comme tout le monde.La surprise était totale lorsque le commandant hurla dans le salon « Je veux que tous les hommes soient soumis à un test ADN ! »On est venu les chercher par petit groupe, et je suis empressée de questionner un des hommes du premier groupe dès qu'ils sont revenus.- Eh ! Pourquoi vous avez été soumis à un test ADN ?L'homme gringalet aux cheveux gris se retourna vers moi, et de son seul œil me regarda avant de répondre "Elle était enceinte l'autre femme qui s'est suicidée. On est tous soupçonné de viol, même le directeur et les gardiens ont passé le test gamine. "Il a baissé le regard en apercevant un gardien nous fixer et repartit aussitôt en direction d'un des fauteuils.Un test ADN, un potentiel viol, un suicide et le patient 386 interné pour exhibitionnisme ...Tout s'explique. C'était la proie facile. Et si la petite remise dont parlait le gendarme, c'était cet endroit d'où était sortie la patiente qui hurlait à mon arrivée ?Je retourne voir la vieille du Scrabble et je lui dis :- Le patient 386, il est comment ?- Mais je te l'ai dit ! C'est un vieux fou, il peine à marcher, je ne sais même pas s'il vit encore, ça fait des semaines que je ne l'ai pas vu au salon.- C'est bien ce que je me disais ...- Et qu'est-ce que tu te dis ma jolie ?Je lui lance un regard et ne répond pas à sa question. Connaissant ces pourritures de flics, ils voudront étouffer l'affaire, si le coupable gène. Une chance que je suis là à mener l'enquête pour sauver ce 386. Il n'aurait pu violer personne vue son état.Une chose était sûre, c'est qu'on allait passer un long moment dans le salon.- Mesdames et Messieurs, je suis le commandant de la gendarmerie.Avec le directeur, nous avons décidé que vous termineriez votre journée dans vos chambres. Dès demain nous aurons les résultats d'analyses et le coupable sera arrêté. Autrement dit, demain vous pourrez retrouver votre petite vie et votre routine habituelle.J'ai conscience que tout le monde est sanctionné, mais il y a quand même eu un suicide ici alors le confinement est la marche à suivre. Monsieur le Directeur m'a expliqué comment vous fonctionnez ici pour retourner à vos chambres, alors vous allez faire comme d'habitude. N'hésitez pas à signaler aux gardiens si vous avez besoin d'un soutien psychologique dans cette situation inhabituelle.On nous a donc ramené à nos chambres jusqu'au lendemain.


***


Lendemain matin.


Toute la nuit, j'ai pensé à cette histoire, et je suis encore plus persuadée que 386 est innocent. C'est un sentiment profond, comme-ci j'étais arrivé à temps à Silent Lake pour résoudre ça. Du moins, ça m'occupe entre le trafic de drogue et les médicaments en intraveineuse.J'ai envie de savoir qui est coupable pour l'infirmière, je suis excitée comme-ci je regardais une scène de théâtre interminable par son suspens. J'ai les roulements de tambours dans la tête, et toute cette scène devient réelle en une fraction de seconde.Seulement, je n'en verrai pas la fin parce qu'un gardien vient me chercher.« Grace veut te parler. »Ses sautes d'humeur vont vraiment me rendre folle.En recommençant ce même cirque, il me fait entrer dans cette cellule sombre et refermer, de nouveau, la porte derrière moi. Mais je ne suis plus impressionnée.- Qu'est-ce que tu veux, Grace ?- Tu vas te calmer pour commencer. Je ne t'ai pas fait venir ici pour notre marché habituel, alors écoute moi. Tu vas arrêter cette enquête de suite. Les gardiens ont des doutes sur toi, la vieille à tout raconté. Tu es folle ma parole, parle lui du trafic tant que tu y es! Peut-être que tu te rendras compte de la gravité des choses toute à l'heure. Sors maintenant et tiens ta langue parce que la prochaine fois, je te la coupe.


Je sors de sa cellule, agacée. Je n'en peux plus de cette vieille peau qui me prend pour son adolescente immature au moindre fait et geste de ma part. Je pars avec le gardien pour retourner dans ma chambre quand on entend un cri « AHHHHHHHHHHHH !» Plus loin dans le couloir.Le gardien qui m'accompagne court de suite en direction de ce hurlement et je le suis, on se dirige vers l'accueil du sanatorium.On passe la porte de cette fameuse « remise » et j'eue à peine le temps de jeter un coup d'œil et d'apercevoir des corps pendus, que le gardien me poussa à l'extérieur de la pièce. Je ne pense pas qu'il m'ait poussé pour que je ne vois pas les corps, mais plutôt pour que je n'entre pas dans la pièce. Il s'est rendu compte que j'étais encore là une fois arrivé, et son visage fut comme prit de panique, il me jeta à l'extérieur.De suite, la secrétaire à l'accueil sauta sur son téléphone pour appeler du renfort. On m'attrapa par les bras et en une fraction de seconde, j'étais en camisole, cerclée de gardiens. J'avais l'impression d'être la coupable de ce cri, alors que je ne faisais qu'accompagner.La pimbêche en décolleté de l'accueil regarda le gardien qui m'accompagnait d'un air satisfait et on me renvoya dans ma chambre.Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Encore des corps ? Des suicides ? Que se passe-t-il dans cette pièce ?Tant de questions sans réponse.Encore une journée qui s'annonçait chaotique. Le point positif, c'est qu'on nous amène les déjeuners dans la chambre puisqu'on n'a pas le droit de sortir.Une heure après, j'attendais le gardien qui ramasse les plateaux repas vides, sauf qu'il est venu, accompagné d'un gendarme. Encore un interrogatoire je parie.Ils me font traverser les couloirs, et on arrive à l'accueil. Là, se tenaient côte à côte les corps qui avaient été décrochés, sous de grands draps blancs, qui attendaient qu'on vienne les chercher. Il y avait des gendarmes partout, et la scène du crime, bien délimitée avec ce gros scotch jaune qui fermait le périmètre.Le gardien qui m'avait accompagné voir Grace était là, l'air dépité.On me fit entrer dans la salle et un gendarme commença à parler.- LL, c'est ça ? Je peux vous appeler ainsi ?- Oui.- Je vais être direct avec vous, qu'est-ce que vous faisiez en dehors de votre chambre en compagnie du gardien Stevenson si tôt ce matin?


Je ne pouvais pas parler de grâce, parce que j'aurais dû expliquer notre relation et ça aurait engendré beaucoup de problèmes alors j'ai répondu simplement :- J'ai demandé au gardien de sortir parce qu'à cause de l'histoire d'hier, je ne me sentais pas très bien.Il me regarda, l'air accusateur et me dit :- C'est bizarre, ce n'est pas ce qu'a dit le gardien Stevenson. Lui, il nous a dit que tu devais aller aux toilettes.- Oui ! C'est parce que j'y suis allée avant de sortir.- Hum, comment ça se fait que tu t'es retrouvée à l'accueil ?- On rentrait en direction de ma chambre avec le gardien quand on a entendu un cri, alors il s'est directement rendu là-bas et je l'ai suivi.- Qu'est-ce que tu as vu exactement ?- Rien. Enfin, que des corps pendus, et ensuite le gardien Stevenson m'a poussé à l'extérieur.- Donc tu n'es pas rentrée dans la pièce?- Non.On est interrompu par quelqu'un qui toque à la porte.- Entrez !- Excusez-moi de vous déranger, mais on a un eu les résultats d'ADN.- Qui est-ce ?- Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il y aura un changement de direction rapidement.- Un changement de direction? Tu veux dire que...?- Que l'ADN retrouvé sur le cadavre est celui du directeur Cazat oui.

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