Prologue

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17 ans plus tôt

Mille pas. Lucien avait compté. Il en était à mille pas. Mille pas qu'il faisait dans le couloir aux murs blancs et au silence qui ne l'avait jamais autant mis sur les nerfs qu'à ce moment. Lucien n'était pas impatient, ce n'était pas dans sa nature. Mais les circonstances avaient fait naître une certaine appréhension dans sa poitrine. Il s'évertuait à penser à autre chose. Maintenant il reconnaissait que compter ses pas n'avait pas été l'une de ses meilleures idées.

Il s'arrêta net devant la grande porte tout aussi immaculée que le reste de la pièce. Son regard resta sur la surface devant lui, mais il ne la voyait pas. Devant ses yeux, c'était une pluie de réflexions qui l'accaparait. Elle naissait d'un gros nuage d'incompréhension qu'il ne voulait pas accepter. Il avait beau tourner toutes les informations récoltées dans sa tête, il ne comprenait pas. Quelque chose ne concordait pas, quelque chose n'allait pas. Et après des années à être dans le flou, il allait enfin peut-être voir une éclaircie sur l'imbroglio qui s'était constitué.

— Entre, Lucien.

La voix forte de derrière la porte le sortit de son emmêlement de pensées. Lucien tira sa veste blanche vers le bas comme pour se redonner une constance. C'était le moment de se ressaisir, sinon son supérieur se rendrait compte de son trouble. Il entra dans le majestueux bureau et referma sans un mot la porte derrière lui. En respirant un grand coup, il finit par se rapprocher de l'autre sans pour autant pouvoir le toucher.

— Puisque tu as demandé à me voir, je suppose qu'elle est apparue, n'est-ce pas ?

En prononçant ces mots, celui qui ressemblait à un homme n'avait pas bougé. Il était debout, les mains croisées dans le dos, devant la fenêtre. Elle lui offrait une vue magnifique. Les nuages s'étalaient dans le ciel laissant peu de place aux derniers rayons du soleil, mais la fin de journée donnait des teintes roses et violettes à ce qui devenait un joli tableau. Des yeux d'une clarté éblouissante scrutaient les horizons, voyant bien plus loin que la couche cotonneuse ne le permettait.

— Oui, confirma Lucien. Quels sont vos ordres ?

— Lance la mission Alliance.

— La mission Alliance... Elle n'a pas été évoquée depuis plus d'un siècle. Pourquoi maintenant ?

— Il faut la protéger.

Un silence éloquent suivit cette réponse. Lucien hésitait. Tout ce qu'il avait appris sur elle se mélangeait dans son crâne pour essayer de reformer le puzzle. Mais les pièces ne s'emboitaient pas.

— J'avoue que je ne vous comprends pas. Surveiller une naissance était déjà une première pour nous. Même si ce genre d'être n'est pas apparu depuis des années, elle ne semble pas si extraordinaire. Et cette mission... C'est une préparation de guerre.

Le dernier mot de Lucien sembla se répercuter dans la pièce et la non-réaction de l'homme devant lui fit surgir une désagréable impression. Son patron se retourna enfin, alla s'asseoir dans le grand fauteuil en cuir blanc et regarda enfin Lucien dans les yeux pour la première fois de leur discussion.

— Elle n'est pas comme les autres, Lucien. Elle peut, à elle seule, détruire la Terre entière.

Sa phrase plana dans le bureau comme une menace palpable. Lucien n'avait pas ressenti un tel choc depuis des siècles. Il imita son supérieur en s'asseyant sur le siège de l'autre côté du bureau. Après une telle parole, il aurait pu demander à son interlocuteur de répéter pour être sûr que celui en face de lui ne se soit pas tromper. Mais celui en face de lui ne pouvait pas se tromper, ce qui plongea Lucien dans l'inquiétude.

— Mais comment avez-vous pu la créer !

Son ton avait été trop élevé, trop empreint d'une peur latente, trop proche d'un semblant de colère. Pourtant son supérieur ne s'en formalisa pas. Il se contenta d'entrecroiser ses doigts sur son bureau en fronçant les sourcils.

— C'est une autre partie du problème. Je ne sais pas comment, mais je ne suis en rien la raison de sa création.

Lucien en resta interdit. Ce n'était pas possible. Ce n'était définitivement pas possible. Comment un autre que Dieu peut faire naître un humain ! Sa surprise se mêlait à l'inquiétude transparaissant clairement sur son visage.

— Ecoute Lucien, commença Dieu, je n'ai malheureusement pas encore d'explication à ce sujet. J'ai essayé d'éviter ce moment, mais il devait arriver. Et je ne suis pas le seul à savoir ce dont elle est capable.

— Vous voulez dire que...

Lucien s'interrompit n'osant pas prononcer le nom. Dieu soupira en délassant ses doigts.

— Je veux dire que l'autre, reprit-il en pointant le sol de son index, est tout aussi conscient de son apparition. Tu vas devoir travailler avec ses sbires pour cette mission. Mais tu devras faire bien attention et te méfier de ces agissements.

Dieu fit tourner son fauteuil vers la baie vitrée de son bureau. Ses prunelles parcouraient les nuages pensivement. Leur couleur se refroidissait comme pour annoncer un prochain orage, comme pour annoncer un mauvais présage.

— Si je ne suis pas l'origine de cet être, je le soupçonne, lui, d'être pour une fois le créateur. Le créateur d'une arme fatale. 

Fatale - Tome 1 : Pouvoir aux creux des mainsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant