Mauvaise nouvelle

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Jude se tourna vers Zoran en une révérence qui se voulait gracieuse.

- À toi de leur annoncer la nouvelle du jour.

J'allais enfin savoir. Je me redressai et mis mes jambes en tailleur, prête à donner toute mon attention tandis que Zoran se levait.

- Eh bien, j'ai récemment appris que le gouvernement prévoyait de rouvrir des centrales NG, donc fonctionnant avec ce charmant Meitnium que nous connaissons bien, ainsi que certaines centrales nucléaires simples dans le but de, je cite, fit-il en mimant des guillemets :"permettre d'amener grâce à une production massive et efficace d'électricité dans les quartiers neuf et plus si la production est fructueuse".

... Effectivement. La nouvelle n'était pas vraiment bonne. Et surtout imprévue, surtout après la promesse que le gouvernement avait faite après la Grande Catastrophe, celle de ne plus utiliser de centrales NG, voire de centrales tout court. Force était de constater qu'une fois encore, c'était une promesse qu'il ne tiendrait pas.

- Mais ils sont complètement dingues ! Tempêta Exy. Ça ne leur a pas suffit comme leçon la dernière fois ?!
- Ça part d'un bon sentiment, lâcha Amly.
- Mais le Meitnium Amly, et l'uranium ! C'est ce qui avait causé notre perte la dernière fois ! Fit Exy en roulant des yeux, comme si elle prenait Amly pour la dernière des imbéciles.
- Tu peux parler, tu n'étais même pas née ! S'empourpra Amly. Ce ne sont que des suppositions. Rien n'a jamais vraiment été prouvé scientifiquement ! Ce ne sont que des théories de gauchistes qui aimaient bien contredire le gouvernement !
- Mais même si ce n'est pas à l'origine de La Grande Catastrophe et de la Brume, ce n'est tout de même pas une bonne chose ! Cette énergie avait des effets secondaires qui ont été démontrés ! De plus, l'uranium est une énergie fossile, donc vouée à disparaître ! En redevenir dépendant maintenant, c'est signer définitivement notre arrêt de mort !

Jude s'interposa entre les deux qui s'étaient levées et menaçaient à présent de se battre.

- Du calme les filles ! Il va de soi que nous sommes tous choqués par cette nouvelle. Sauf toi Amly apparemment, ajouta-t-il en voyant que l'intéressée ouvrait la bouche pour protester. Même si nous sommes agacés, sachons garder notre sang-froid, c'est une des rares choses qui nous reste.

Les filles retournèrent à leurs places respectives non sans un regard noir de la part d'Amly destiné à Jude et Exy. Jude les suivit du regard, ignorant celui d'Amly avant de continuer.

- Bref, maintenant, la question est : qu'allons-nous faire ? Nous ne pouvons bien évidemment pas rester les bras croisés. D'autres personnes de notre chère ville sont-ils au courant eux aussi ? Leur réaction ? Nous avons besoin de réponses avant d'envisager des actions concrètes.

Jude me faisait rire à parler ainsi comme un adulte . Il devait probablement oublier que hormis Tohz qui venait d'avoir dix-huit ans, nous étions tous mineurs. Hors, il était évident que personne ne nous écouterait quoi que l'on fasse.
L'aîné déclara :

- Déjà comme tu l'as si bien dit, on ne sait pas si tout le monde est au courant. Je ne sait pas comment Zoran l'a su d'ailleurs mais si il était le seul de notre groupe au courant, il y a fort à parier que peu d'autres gens le savent.
- la question étant, enchaîna Jude, on fait comment ?

Zoran leva la main comme si on était en cours avant de proposer :

- Les manifestations, y a que ça qui marche. On descend dans la rue avec des pancartes ! Non seulement on mettra les gens au courant mais ça nous permettra de protester en même temps ! On fera d'une pierre deux coups.

Je le coupai dans son délire en ricanant doucement :

- Impossible qu'on nous écoute pauvre naïf. De plus, organiser quelque chose de ce type, administrativement, c'est l'enfer et étant donné qu'on est mineur, je ne suis même pas sûre qu'on puisse. Il n'y a que Tozh qui pourrait réellement agir mais seul dans la rue avec sa pancarte, il n'aurait pas beaucoup de crédibilité, le pauvre.
- ... distribuer des tracts chez les gens alors ?
- Je me demande comment. Voilà belle lurette que plus personne n'utilise de boîte aux lettres et on ne peut même pas les glisser sous les portes des gens, tout est barricadé à cause de la Brume, objecta Gam.
- Et pareil, niveau administratif c'est galère et les gens pourraient prendre ça pour des publicités et les jeter avant même de les avoir lu, renchéris-je.
- Eh bien je sais pas alors, mes idées ne sont pas assez bien apparemment !

Je voulais lui dire qu'elles auraient pu être bien mais il fallait être réaliste et se rendre à l'évidence. Dans notre position actuelle d'adolescents, nous n'étions pas en posture de réellement agir et d'être écouté sur quoi que ce soit.
Il y eu un silence pendant lequel tout le monde sembla réfléchir, sans vraiment chercher de réelles solutions.
Puis, Amly se craqua les doigts sous ses mitaines verdâtres et élimées, signe évident qu'elle allait parler.

- Au pire on ne fait rien du tout non ? Le gouvernement n'est pas stupide, il sait ce qu'il fait. Je ne vois même pas pourquoi on a cette discussion. Qui est inutile visiblement vu que de toute façon personne n'a rien à proposer.
- Oh mais tu peux t'en aller, on ne retient pas, grogna Exy, outrée parce qu'avait dit Amly.

Amly la regarda dans les yeux. La tension était palpable. Les deux ne s'étaient jamais formidablement bien entendues, Amly ayant toujours qualifié Exy de "fille brutale" ou "spontanée " mais elles ne s'étaient pour autant jamais disputées. Cependant, ce soir-là devait être la goutte de trop. Je tremblais en imaginant ce qui allait suivre.
Mais étonnamment, il n'y eu pas de gifles ou de coups de poings. Amly se contenta de continuer à fixer Exy, tout en articulant chaque syllabe qu'elle prononçait :

- Très bien.

Exy ne flancha pas sous sa réponse. Elle se contenta d'observer Amly qui se levait et époussetait la poussière du grenier qui s'était invitée sur ses vêtements. Elle l'observa -et nous aussi- quand elle mit ses cheveux vers l'arrière et qu'elle commençait à partir. Arrivée sur le seuil, elle ne se retourna même pas, et dit simplement :

- Quand vous verrez que tout ce que vous faites est inutile, vous ne viendrez pas vous plaindre. Je vous aurez prévenu, vous ne pourrez pas dire le contraire.

Sur ce, elle nous quitta rapidement comme pour s'éloigner de nous le plus loin possible.
J'étais déçue. J'aurais imaginé Amly plus attachée à notre groupe. Il faut croire que je la connaissais mal. Le fait qu'elle nous quitte ne laissa personne indifférent, je le sentais bien. La seule qui pouvait potentiellement se réjouir était Exy, mais quand je tournai la tête vers elle, je vis sa mâchoire serrée indiquer qu'elle était encore trop en colère pour se réjouir de quoi que ce soit.
D'instinct, après quelques minutes de gêne, on se tourna tous vers notre meneur, Jude, en attendant qu'il nous dise quelque chose. Pour ma part j'espérais qu'il nous rassure ou qu'il propose une idée de génie comme il pouvait en être capable, pour clore cette réunion sur une bonne note. Mais Jude était aussi gêné que nous, il se rongeait les ongles nerveusement, mille questions semblant trotter dans sa tête.
Il finit tout de même par briser le silence.

- Bon eh bien... considérons cette réunion comme terminée, on se voit demain, pensez à réfléchir à tout ça et essayez de trouver quelque chose.

- À demain Jude, fit Luzia sans plus attendre, en se levant avant de partir.

On ne tarda pas à l'imiter, disant au-revoir chacun son tour, Jude répondant à chaque fois par un geste de la tête ou une tape sur l'épaule.
Une fois dehors, on se dispersa tous dans la nuit, assombrie par la Brume.

Dans la brume [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant