Depuis que nous avons emménagé ensemble, la communication est compliquée. Nos vies se mènent en parallèle, avec quelques échanges de tendresse ou de dispute, entrecoupées de journées mornes et sans but.
Ce matin-là, Johanna se réveilla en retard et dans sa précipitation me donna un coup de pied en se levant. Agacé par ce comportement, je me levais à mon tour et m'étirais de tout mon long. La journée s'annonçait difficile, une fois de plus. Je me trainais jusqu'au salon et m'installais sur le canapé, attendant mon bol de lait. C'était une habitude entre nous et ce depuis notre rencontre. En pyjama et les yeux dans le vide, elle me prépara mon petit déjeuner à la va-vite tout en fumant une cigarette pour se réveiller. Elle savait que je détestais cette habitude mais elle n'avait pas arrêté pour autant. Elle passa à côté de moi sans la moindre attention et partit se laver dans la salle de bain. Et avant même de prendre une rasade, je sentis une odeur atroce de lait tourné. Dégoûté, je décidais de me confronter à elle, une fois de plus. Je pénétrais dans la salle de bain pour protester contre ce geste matinal mais celle-ci ne m'écoutait pas. Elle termina de se préparer et sortit précipitamment sans m'accorder un regard. Elle vérifia que les fenêtres étaient fermées, empoigna son sac à main et quitta l'appartement en fermant à double tour. Furieux de cette réaction, je me mis à fouiller dans chaque pièce à la recherche d'un je-ne-sais-quoi qui pourrait me permettre de sortir de l'appartement, mais ne trouvai rien. Une colère sans nom explosa dans ma poitrine. Pourquoi n'arrivait-on pas à vivre ensemble ? Cette femme était-elle sans cœur ? Pourquoi m'abandonner ainsi tous les jours ?
Ma journée se déroula comme toutes les autres. Morne. Froide. Et extrêmement ennuyeuse. Je retournais me coucher vers 13 H pour une longue sieste où dans mes rêves les plus fous, Johanna n'existait plus. À mon réveil, vers 17 H, je décidais de grignoter un petit quelque chose pour calmer ma faim, mais là encore, les saveurs n'étaient pas au rendez-vous. Depuis la hausse du loyer, les fins de mois devenaient difficiles et c'est encore moi qui en pâtissais. Elle avait délibérément décidé de rogner la qualité de mon alimentation au profit de la sienne. Une véritable honte ! Je me détournais de cette atroce nourriture pour me poser devant la fenêtre. Les journées étaient les mêmes et j'avais pris cette habitude quotidienne. J'observais le vent souffler dans les arbres en rêvant à ma liberté. Il me fallait absolument partir de cet endroit horrible qui m'oppressait de jour en jour.
Le bruit de la porte m'indiqua qu'elle était rentrée. Fatiguée de sa journée de travail, elle jeta nonchalamment son sac sur la table et s'effondra sur le canapé. Les placards étaient vides et elle rentrait sans sac de course, quelle idiote ! Je me mis une fois de plus à protester contre ce comportement mais elle me cria au visage de « la fermer ». S'en était trop. Il fallait s'en débarrer au plus vite. Je m'isolais dans un coin de la pièce et préparais mon crime en silence...
Lorsqu'elle partit se coucher, je m'introduisis dans la cuisine et constatais qu'elle avait oublié de fermer une fenêtre. Parfait ! Mon évasion n'en serait que facilitée. Je montais sur la gazinière et me mis à pousser les boutons à fond. Je sautais par la suite sur le rebord de la fenêtre et me mis à miauler afin de la réveiller. Au bout de quelques minutes, elle se leva furieuse et me hurla dessus avant de m'enfermer dehors. Le plan se déroulait à la perfection.
Je passais toute la nuit dehors, sur le parapet, les yeux brillants dans le noir. Au petit matin, son réveil sonna et je ne pus m'empêcher de me délecter du moment. Enfin !
J'entendis un toussotement, des pas dans la cuisine, un bruit de briquet et une explosion fulgurante. Les fenêtres se brisèrent sous l'effet du choc laissant s'échapper des épaisses volutes de fumées noires. Je plissais les yeux (qui picotaient) et pus enfin voir cette scène stupéfiante, surréelle. Le feu semblait glisser comme de l'eau, s'insinuait dans les moindres recoins. Les flammes dansaient dans l'appartement et comme des tentacules elles grimpaient sur les murs, s'agrippaient aux rideaux et se démultipliaient sans fin. Le corps de Johanna ressemblait à une allumette et se consumait lamentablement sur le sol de la cuisine. La chair roussie sentait le cochon et le carbone, une horreur pour les papilles !
Satisfait de mon œuvre, je continuais d'observer la scène en me léchant les pattes et me promis à l'avenir de mieux choisir mon maître.
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Nouvelles et Gribouillis
Historia CortaRecueil de nouvelles sombres et de gribouillis divers