Chapitre douze

305 44 71
                                    

Angleterre, ancien centre de détention, deux ans plus tôt – 7 mars 2018

L'orientation des astres indiquait que dix-neuf heures venaient de s'écouler. J'avais eu beau mesurer le temps sans relâche, nous n'avions trouvé aucune échappatoire, aucune faille dans le plan de Vassilis.

Menés par le bout du nez à coup de chantage et d'intimidation, nous étions incapables de contre-attaquer, d'autant plus depuis que l'étudiante battue jusqu'au sang et nommée Violet n'avait daigné montrer la couleur de ses yeux.

Qu'avait-on fait d'elle ? Cette question rôdait dans tous les esprits.

Notre geôlier ne plaisantait guère quand il qualifiait cet endroit d'atemporel... En plus de nous couper du monde extérieur et de nos proches, il réussissait à annihiler le féroce espoir qui s'accrochait en chacun de nous.

Ici, la moindre promesse devenait désillusion. Réduits au silence, au manque d'hygiène et à la malnutrition, nous devenions des objets, de véritables pantins pour ses sbires et lui. Bien qu'ils proclamassent des intentions pacifistes, leurs actes témoignaient d'une violence à laquelle j'avais rarement été confrontée dans ma vie.

Je rabattis mes genoux contre ma poitrine, entourant mes jambes de mes bras. À cet instant, un nuage couvrit le soleil aux rayons frigidaires. Je sentis la solitude m'étreindre avec fermeté, accentuée par les rafales d'un vent d'hiver. Mes poils se hérissèrent, un nœud serra douloureusement mon ventre.

De mes yeux brûlés par le froid se déversèrent des flots de larmes. Intarissables, entraves à ma pudeur naturelle, elles étaient le seul moyen d'évacuer la détresse que mon esprit et mon corps emmagasinaient. Mortifiée, je me basculai d'avant en arrière en quête d'une onde de chaleur. Tout mon organisme se tendit, secoué de spasmes.

Comment décrire l'enfer sur Terre ? Je jurai n'avoir jamais autant souffert.

Je fermai les yeux, focalisant mon attention sur les images qui refluaient de ma mémoire. Je crus sentir des doigts frôler mes cils, tout en douceur, dès lors qu'une goutte d'eau dévala ma joue. Était-ce la pluie ou le contrecoup d'un puissant tourment ?

J'entrouvris la bouche, rejetant l'oxygène dont mes poumons cherchaient à se priver. J'atterris dans une dimension parallèle où mon corps, étendu dans un champ de fleurs, semblait affranchi de tous mouvements. C'était un lieu inconnu où je laissais libre cours à mes pensées, ne m'efforçant pas de les museler par crainte d'importuner la personne en face de moi, par crainte des représailles ou des coups-bas.

Je revins dans cette terrible réalité qui était la mienne, persuadée que je m'en tirerais. Nul besoin d'aplomb pour jurer, sur l'existence des personnes que j'aimais, que jamais je ne remettrai un pied ici. S'il le fallait, on m'y traînerait de force. Qu'importe les circonstances, qu'importe le prix à payer, je ne dépérirais pas ici sous le joug d'un malfaiteur. Je me battrais.

Mes chaînes s'entrechoquèrent dans un bruit sourd. Je tirai dessus, me redressant tant bien que mal. Ma vision se troubla davantage, pourtant je ne me décourageai pas. Je courus loin du mur auquel j'étais rattachée ; le choc corporel que les chaînes m'infligèrent ne représenta qu'un millième de la rage que je pouvais éprouver en cet instant.

Je reposai un pied après l'autre sous les regards médusés de mes semblables.

« Ne tente pas le diable » disaient-ils avec véhémence. « Ne joue pas à l'héroïne ! »

Malgré leurs avertissements, je réitérai mes manœuvres, me blessant davantage à chaque nouvel affront. De vives douleurs parcouraient mon dos tandis que du sang fuitait de mes poignets lacérés.

FugaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant