La Tour d'Ivoire - Tome 2

Ce que cache le vent

« I'm trying to be better than my parents. I have to be. »

Auteur inconnu

Les semaines passèrent, défilèrent dans un tourbillon d'étoffes luxueuses, de promenades avec Elina, de discussions passionnantes avec Gabriel et d'entrainements avec Seth. Je n'avais toujours pas visité la Cité d'Émeraude, Elina et Raphaël m'avaient promis de m'y emmener dans les prochains jours.

    Je m'améliorais. Vraiment. Si j'étais une piètre combattante dans la plupart des domaines, j'étais douée au corps à corps, au tir à l'arc et je savais assez bien manier la dague que Seth m'avait offerte. Cependant, mieux valait ne pas me donner une épée, un sabre ou toute lame un peu plus longue. Mais c'était déjà assez pour rester en vie.

    -Écarte un peu plus les jambes. Voilà, comme ça. C'est bien.

    J'inspirai profondément. Le vent me fouettait le visage, et je sentais l'odeur de ma propre sueur. Je détestais cette sensation.

    -Ton bras, Lévana, un peu plus vers l'arrière. Oui, c'est ça. Maintenant, à toi de jouer.

    Je fis le vide dans mon esprit. C'était le seul moment où j'y arrivais. Je ne pensais plus à rien, seulement à la cible postée des mètres plus loin. Plus rien n'avait d'importance, ni la douleur de mes doigts, ni la présence de Seth à côté de moi, ni mes angoisses, plus rien.

    J'avais essayé d'atteindre cette même quiétude le soir, lorsque je m'apprêtais à me coucher et que des pensées parasites venaient me hanter, en vain. Le seul moment où je pouvais me fermer à mes sentiments, c'était lorsque je tenais un arc à la main et que je sentais la raideur dans mes muscles, la meurtrissure de la flèche contre la peau à vif de mes doigts. Je venais parfois en pleine nuit m'entrainer, simplement pour sentir cette paix qui investissait chaque parcelle de mon corps, de mon âme. Personne n'était au courant de mes petites escapades nocturnes, et c'était mieux ainsi.

    Ce n'était pas pour rien que mes progrès étaient phénoménaux, au plus grand plaisir de Seth. Même les séances de combat à main nue étaient attendues avec impatience, je reprenais alors à nouveau possession de mon corps, de mes membres, et même si je souffrais le martyre, et que muscles me lançaient à chaque pas, j'avais cette divine impression de reprendre ce qui me revenait de droit. Ce qu'Ayaan m'avait pris. Non. Ce que je lui avais donné. Ce que j'avais aimé lui donner.

    Fais le vide, Era, fais le vide là-haut, me souffla mon esprit.

     Je lâchai la flèche, cette dernière vint se ficher à l'endroit exact où j'étais censée l'envoyer. Encore gagnée.

    -Parfait Lévana. Parfait.

    Je souris.

    -Eh bien, les rumeurs n'étaient donc pas fausses. Lévana Sildek, la meilleure archère de la nation d'Émeraude !

    Gabriel.

    Je me retournai. Il était à côté de son frère, bras croisés, son regard foncé posé sur moi.

    -Seth ne voulait pas qu'on assiste à tes entrainements, mais les rumeurs courent... et même le prince ne peut les empêcher/ (Seth me surprit lorsqu'il ébaucha un sourire amusé.) Mais voilà plus d'un mois que mon cher frère me tient éloigné de ce terrain d'entrainement, et je dois bien dire, Lévana, que ton talent est manifeste... Je ne pensais pas les Ivoiriens naturellement doués pour le combat.

    Je ris puis décidai de les rejoindre. Gabriel portait ses habits princiers, contrairement à Seth et moi qui étions habillés en tenue de combat grise et kaki. Elina m'avait offert une tenue semblable à la sienne, laissant mon ventre, mes épaules et mes jambes nues. Pratique mais niveau protection, zéro. Mais pour eux, qui avaient appris à se battre depuis le berceau, une armure ne servait à rien. Je n'avais pas voulu porter ma magnifique tenue de combat achetée au Grand Marché des Nations pendant mes entrainements, je ne voulais pas l'abimer. D'ailleurs, celle-ci couvrait mes jambes, mon ventre et mes bras, tant mieux, parce que pour ce qui était de me battre, je n'avais pas leur talent.