01-La créature

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Depuis le début de la matinée, Mélly pestait. Rien n'allait dans son sens. Après avoir fait, encore une fois, ce rêve ou ce cauchemar, sa mère s'était fâchée. Elle l'avait entendue hurler dans son sommeil et n'avait pas cherché à comprendre. Elle lui avait demandé de prendre son traitement de cette voix si désagréable et forte, puis de livrer la sculpture de son père. La jeune fille haïssait faire le chauffeur ainsi qu'avaler ces maudits cachets. Ceux-ci, en plus de ne pas l'empêcher de rêver, la rendaient molle. Depuis des mois maintenant, elle s'en débarrassait dans les toilettes et faisait semblant devant sa mère de respecter son traitement.

Mélly se concentra sur l'instant présent et jeta un bref coup d'œil au lourd chargement entreposé dans le coffre de la voiture : une œuvre en fer forgé sûrement destinée à décorer le jardin d'un riche prétentieux. La jeune fille reporta rapidement toute son attention sur la voie sinueuse qu'elle suivait. Elle ne comprenait pas pourquoi, mais aujourd'hui, ce chemin la rendait nerveuse. Était-ce à cause du ciel étrangement menaçant et très semblable à son rêve ?

Non, ceci n'était qu'une coïncidence, son malaise venait sûrement de la route des crêtes et du danger qu'elle représentait. La jeune fille se concentra sur sa conduite, ignorant son pressentiment qui s'était transformé très vite en boule exaspérante au fond de sa gorge.

— Le monstre m'a retrouvée ! marmonna-t-elle en touchant son cou.

Ses doigts tremblaient légèrement sous l'angoisse qu'elle ressentait. Elle soupira, car il n'y avait aucune marque sur sa peau ni aucune raison valable d'avoir peur. Pourtant, depuis son réveil, elle ne parvenait pas à faire fuir la sensation désagréable que cet être noir existait. Elle sentait encore ses doigts sur sa peau, même aucune marque n'était visible. Elle avait rêvé, cette ombre n'existait pas. Finalement, peut-être aurait-elle dû les avaler, ces maudits cachets et oublier ce stupide cauchemar.

La voiture zigzaguait sur la côte ; les falaises, la mer et la route commençaient à la rendre nauséeuse.

Elle souffla afin de se ressaisir. Mélly dut prendre garde à ne pas trop se déporter sur la gauche. Elle avait beau y aller doucement, ceux qu'elle croisait conduisaient souvent comme des fous, bien qu'elle n'ait rencontré personne depuis un moment. La jeune fille regarda une nouvelle fois l'heure et grinça des dents.

Cela faisait au moins vingt minutes qu'elle aurait dû arriver à Cassis. Ses doigts se crispèrent sur le volant. Mélly roulait depuis plus de trente minutes, ce qui commençait à l'inquiéter. Elle connaissait bien cette route et elle ne lui avait jamais paru si longue.

J'ai dû me perdre... pensa-t-elle, de moins en moins à son aise.

Elle serra les mâchoires, marmonna dans sa barbe. Était-il possible de s'égarer sur une chaussée en ligne droite ? Certes, elle zigzaguait, mais il n'y avait pas eu une seule intersection depuis qu'elle l'avait empruntée. La jeune fille ne pouvait pas faire demi-tour alors que les virages se succédaient. Elle continua donc de longer la crête, où d'un côté, la roche escarpée l'oppressait et de l'autre, la mer et le vide lui donnaient le vertige. Aucune indication sur la ville de Cassis n'apparaissait. Mélly pesta quand elle dut freiner brusquement alors qu'un virage abrupt lui soulevait à nouveau le cœur.

— J'aurais dû prendre l'autoroute, ronchonna-t-elle de vive voix.

Mais les péages coûtaient si cher qu'elle déboursait presque cinq euros pour aller d'un village à l'autre. Enfin, le mot village était un euphémisme lorsque l'on parlait de La Ciotat ou de Cassis. « Petite ville » correspondait bien mieux à leur description. Mélly devait toutefois avouer que l'autoroute était plus rapide et moins dangereuse. En tout cas, il n'y avait pas de ravins menaçants comme maintenant.

Trigon et la tour de feu Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant