Livre 0 : Le Pouvoir de la Meute

5. Détachez-moi

Pendu par les pieds à un arbre, Harry était tête en bas à deux mètres du sol. Après cinq jours à vivre avec (plutôt contre) Max et Michael, il ne se posait plus aucune question et sa situation lui paraissait presque normale.

"Cavalier en E5." dit Michael pour faire bouger la pièce sur le plateau d'échec géant gravé dans l'écorce de l'arbre.

Il était tranquillement allongé dans un hamac plus d'un mètre plus bas et sirotait un étrange liquide marronâtre : improbable mélange de menthe, fraise, chocolat, noix de coco et ketchup.

"J'ai mal..." gémissait Harry. "J'ai changé d'avis, je préfère jouer à l'aveugle !"

C'était lui-même qui s'était infligé ce supplice quand on lui avait exposé la situation : une partie d'échec à l'aveugle c'est-à-dire sans voir ni le plateau ni ses pièces (le choix de Michael) ou à vue dans une position inconfortable. Il aurait dû se douter qu'inconfortable était synonyme de souffrance dans la bouche de Max.

"Tu vas arrêter de te plaindre ?!" grogna Max. "J'ai mal ceci, j'ai bobo cela... C'est trop injuste... Je veux mon doudou... Sniiif !"

Il n'avait pas gagné le moindre point depuis le début du test et devait obligatoirement remonter la pente avant la fin de la deuxième semaine sinon, il était discalifié d'office. Ça impliquait retourner dans la rue et mourir puisque Max lui avait prouvé 1000 fois à quel point il était faible. Sans compter qu'il y avait des centaines de mangemorts qui seraient ravis de l'achever si la faim ne s'en chargeait pas avant. Ça ne suffisait pas d'être Harry sans famille, il fallait aussi être recherché par des tarés avides de son sang.

"Si un humain reste trop longtemps dans cette position, il meurt." informa Harry.

Max était implacable, comme toujours :

"Bah faut jouer plus vite dans ce cas. Tic tac, tic tac..."

"Tour en E7." s'écria Harry sans réfléchir.

"Fou en E7."

Les règles paraissaient toujours simples à prioris. Par exemple, il ne devait pas gagner la partie d'échec mais juste de prendre cinq pièces à Michael. Ce dernier ne voyait même pas le plateau et pourtant, il le massacrait tout en discutant joyeusement avec Max.

"Détachez-moi !"

"Alors tu renonces ?"

"C'est pas tant renoncer que vivre."

"Asticot !" jeta Max.

"Fillette !" renchérit Michael.

"Vous vous trompez : Pion en C3."

"Abruti... Je prends ta Dame : Fou en B1."

Chaque jour, Harry avait deux épreuves : l'une contre Max souvent physique et l'autre contre Michael souvent intellectuelle. Les deux M (Merveilleux d'après eux, Machiavéliques d'après Harry) s'étaient amusés à renommer chacune de ses défaites :

L'escrime = frapper Harry avec une épée et lui botter le cul.

Les jeux vidéos = plaquer le personnage d'Harry dans un coin et le mitrailler de petites attaques rapides et faibles pour faire durer le massacre.

La Boxe = assommer Harry et lui péter les dents.

Programmation informatique = HAHAHA, Harry ne sait pas compter.

L'escalade = jeter Harry du haut d'un arbre et recommencer.

Trivial poursuite version sorcier = HAHAHA, Harry n'y connaît rien en culture sorcière.

Judo = plaquer Harry au sol et casser ses lunettes (de toutes les manières, elles étaient moches).

Combat de robots = Défoncer la crevette en plastique mécanisée codée par Harry en deux coups et le faire courir des heures pour fuir un robot offensif paramétré pour tuer.

Tire-à-l'arc = tirer des flèches enflammées sur Harry et faire griller des marshmallow sur son corps en feu.

Harry craignait fortement les noms qu'ils allaient trouver pour la partie d'échec du matin et le jeu de l'oie de l'après-midi. En tout cas, il était rassuré de ne pas devoir encore affronter Max à un sport. Peut-être allait-il gagner son 1er point ?

"J'abandonne !" souffla Harry avant de perdre connaissance.

Son corps pandouillait mollement au bout de la corde ensorcelée.

"Oh oh..."

"Ah bah bravo, tu l'as tué !" hurla Max.

"C'est toi qui le frappe toujours jusqu'au sang !"

"Ça l'endurcit !"

"C'est moi qui nettoie et je te jure que j'ai jamais vu autant d'hémoglobine qu'après le judo de jeudi."

"Hier il n'a pas saigné, j'ai pas dû cogner assez fort..." songea Max.

"HIER ?! Il était complètement cramé ! On aurait pu faire une brochette avec la viande de son bras."

"Y'a pas de viande sur son corps d'asticot, son bras c'est juste une brochette en os et faut ajouter des morceaux de viandes pour que ça soit mangeable..."

"Tu veux le bouffer ?"

"Bah il sera utile pour une fois !"

"Euh... Max ?" appela Michael. "Tu as pensé à le détacher avant qu'on discute ?"

"Non, c'était à toi de le faire !"

Ils levèrent les yeux et Harry n'avait jamais autant ressemblé à un jambon dans une boucherie : le visage écarlate, le corps saucissonné par la corde et les chevilles si blanches qu'il pourrait avoir perdu l'usage de ses jambes.

"Oups..."

"Mince !"

"On en fait quoi ?"

"Bah on devrait le détacher..."

"Tu trouves pas qu'il ressemble à une piñata ?"

"Ah ouais, c'est vrai !"

"J'adore les piñata..."

"Moi aussi..."

Un blanc. Un silence. Encore un blanc. Et...

"Trouve-toi un bâton et c'est le premier qui le fait tomber !"

"YEAH !"