Chapitre 1 Entrée dans la matière

85 6 56
                                    

Le brouhaha constant de l'autoroute taquinait la sérénité campagnarde de Gironde. Le sifflement du célèbre deux roues italien exerçait comme une symphonie dans la cacophonie des diesels, poids lourds, voitures citadines. L'hyper sportive rouge détournait l'attention des automobilistes en provoquant pour certains la rancœur, d'autres la jalousie. Le motard observa avec amertume le ciel nuageux, les éclairs au loin présageaient une pluie imminente. Le blouson en cuir, les bottes assureraient une étanchéité parfaite, le jean en revanche ne lui permettrait qu'un court instant de répit au sec !

Il avait traversé avec plaisir le paysage girondin en Nouvelle-Aquitaine. Le trentenaire adorait ressentir le vent contournant le carénage, le casque, la sensation de traverser un mur s'épaississant au rythme de la vitesse. À deux cent cinquante kilomètres à l'heure, il était impossible d'éviter un carambolage. Vous ne pouviez simplement qu'accepter une mort inévitable !

Les armatures du blouson ne pourraient le protéger que du frottement du bitume, mais pas de l'impact direct avec une voiture.

Il avait emprunté sa première moto à tout juste quatorze ans, perdu sa puberté, causé une mort accidentelle à quinze ans. Le motard contrôlait totalement sa vie, il ne faisait rien à la légère, tout était calculé à l'avance.

Il ressentait une certaine fatigue, lassitude. Il suivait à bonne distance une BMW depuis Pau en Pyrénées-Atlantiques. Il refusait habituellement ce genre de filature, mais la moitié déjà versée des cinq cent mille euros avait su le convaincre ! Il souleva la visière pour permettre au vent de s'engouffrer afin de lui rafraîchir le visage. Sa cible changea de voie pour prendre la direction de l'aire de repos. Il fit de même en décélérant alors que la BMW prenait la direction du parking de la station-service. Il aperçut le propriétaire descendant de voiture. Le motard contourna la station pour se garer derrière.

Il pénétra dans la station service pour traverser le couloir menant aux toilettes, douches. Il aperçut sa cible attablée prés de la baie vitrée. Le motard se dirigea vers le bar pour s'asseoir sur le tabouret. La serveuse se précipita à sa rencontre.

— Bonjour, vous désirez ?

— Un long café.

Il profita de l'attente de sa commande pour dévisager Alberto Conti. L'homme d'affaires était vêtu d'un costume à six cents euros, affichait une coupe de cheveux entretenue par un coiffeur privé. Une mallette renforcée à code numérique réclamant un numéro à six chiffres reposait sur le siège à côté.

— Vous venez d'où ? demanda la serveuse rousse en rehaussant discrètement sa poitrine.

— San Sebastian.

— Affaires ou vacances ?

— J'ai assisté à un congrès sur le réchauffement climatique.

Elle grossit les paupières de surprise.

— Vous n'avez pas l'air d'un congressiste.

— Je représente une confédération australienne de surf associée à l'Australian Greens.

— Je vous crois sur parole, confirma-t-elle en regardant la musculature déformant le sweat shirt.

Il observait du coin de l'œil sa cible venant de recevoir son plateau-repas.

— Vous connaissez du monde dans la région ?

— Excusez-moi, annonça-t-il en prenant son portable. Je dois prévenir mon épouse que je serai à La Rochelle dans deux jours.

— Ah, s'exclama-t-elle avec un dégoût flagrant dans le regard.

Elle fit demi-tour pour s'occuper d'un client. Il détourna le regard vers l'homme en smoking, attendait-il quelqu'un ? Il ressentit une présence approchant dans son coin sud-est.

— Monsieur !

Il aperçut un motard de la gendarmerie approchant du comptoir à sandwichs, alors que son équipier se trouvait à moins de cinquante centimètres de sa table.

— Qu'y a-t-il, sous-officier ?

— C'est à vous la Panigale V4 R ?

— Oui ! Alors Yamaha FJR1300 ou BMW 1200RT ?

Il faisait référence aux changements de concessionnaires motos de la gendarmerie.

— Yamaha, sans équivoque. Votre Ducati, c'est le modèle deux cent trente-quatre chevaux à échappement racing Akrapovic ?

Le gendarme resta attentif à la réponse. Le motard réfléchit à la situation, mentir serait préférable, mais litigieux si le sous-officier détenait déjà la réponse.

— Deux cent cinquante, pourquoi faire les choses à moitié.

Le militaire attrapa le dossier de la seconde chaise pour s'asseoir à ses côtés.

— Alors, à combien elle monte ?

— Trois cent vingt.

— Ouah, putain merde. Avant mon enrôlement, j'avais une Ducati 1199 Panigale 2010. J'atteignais les 248, couché sur le réservoir. La chicane est dessus ?

— Oui, pourquoi ?

— Mon collègue risque de vouloir vérifier. Attention sur la route. Dit-il en se levant.

— OK. Merci.

Adrian était un professionnel, capable de s'adapter à toute situation. Alberto Conti mangeait une côte de bœuf avec frites. La sonnerie de son portable résonna, il l'attrapa pour lire un message, puis se pressa de terminer son repas. Alberto était anxieux, il ne cessait de remuer les doigts de nervosité en scrutant au-dehors. La situation présageait un échange dans la station-service. Cela n'arrangeait pas Adrian, trop d'imprévus à gérer.

Dix minutes plus tard, un 4X4 se gara face à la baie vitrée. Alberto ne la quitta pas du regard. Deux hommes en smoking, mine patibulaire, en descendirent pour le dévisager à travers la vitre. Adrian détourna le regard pour apercevoir les gendarmes reprenant la route. Les deux molosses étaient impressionnants par leur taille frôlant les deux mètres. L'archétype classique des hommes de main d'un parrain ou organisme gouvernemental ! La serveuse venait de partir en cuisine en compagnie du gérant. Conti menotta sa main à la mallette, preuve de son manque de confiance. Les deux hommes l'encerclèrent, Alberto n'était plus dans son champ de vision.

— Veuillez nous suivre, monsieur Conti.

Adrian se dirigea vers les w.c.. Il fit pénétrer un boîtier dans une prise pour faire griller le disjoncteur. Il enfila une cagoule moulante avec optique à vision nocturne, puis rejoignit la salle principale pour assister au départ d'Alberto en compagnie des deux hommes. Il traversa la salle tout en dégainant son arme avec silencieux. Le premier molosse entrouvrait la porte pour Alberto, le second fit subitement demi-tour. Adrian jeta une bombe flash aveuglant le trio. Un verre spécial protégeait le lanceur le temps de la déflagration. Il accéléra le pas pour tirer une balle en pleine tête au plus près, le sang inonda la chevelure de Conti qui hurla. Le molosse qui maintenait la porte avait déjà traversé les six mètres pour lui faire face. Adrian évita de justesse les mains de son agresseur, mais ne put esquiver le coup de pied qui lui coupa le souffle en le projetant violemment contre le mur. Il venait de heurter la paroi que son agresseur l'empoignait déjà à la gorge. Comment pouvait-il être aussi rapide ! Il bascula le visage à temps pour éviter le coup de poing qui traversa le mur. Il orienta son pistolet vers sa cible, mais l'autre lui extirpa des doigts d'un revers. Le motard lui frappa l'entrejambe de son genou, retira une lame de sa botte pour traverser profondément la gorge de son agresseur. Le molosse le relâcha pour chanceler en retirant la lame. Adrian lui tira une balle entre les deux yeux. Il aperçut Alberto prenant la fuite au volant de sa voiture. Il jeta sur le trajet une bombe lacrymogène derrière le bar, la serveuse, le gérant, trébuchèrent pour perdre immédiatement connaissance. La discussion avec la serveuse n'était que message subliminal, elle ne garderait que l'idée du surfeur aux cheveux longs. Adrian possédait une certaine pratique de l'hypnose.

Il poursuivit bientôt sa cible dans la nuit.

L'Unité FantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant