quarante-huit.

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"Je vais tout te raconter alors. Pas seulement parce que tu le veux, mais aussi parce que je le veux. Je veux que tu me fasses confiance comme je te fais confiance."

Je souris et hoche la tête pour lui donner le feu vert.

"Bon... Le gang a donc été créé en 1974 et mon père avait 16 ans. Ce n'est pas trop jeune pour entrer dans un gang. Il était déjà avec ma mère à l'époque et ils se sont mariés environs deux ans après, dès leur majorité. Mon grand frère est né la même année, en 1976. Il s'appelait Elijah, on l'appelait tous Eli..." Il dit, une pointe de nostalgie dans sa voix. "Je suis né deux ans après, en 1978. Mon père était dans le gang, mais je n'y prêtait pas vraiment attention. Eli non plus d'ailleurs. Ça a été comme ça jusqu'à mes sept ans. Je ne réalisais pas que mon père était sans cesse traqué par la police, et que ma mère se faisait du soucis pour lui jour et nuit. Mais malgré tout, nous étions heureux tous les quatre. Eli et moi on allait à l'école ensemble pendant que ma mère travaillait, mon père aussi travaillait mais pas de façon légale. Malgré tout on avait de l'argent, enfin, plus que maintenant."

J'attends patiemment qu'il continue son récit mais au lieu de ça, il ancre son regard brillant dans le miens, un sourire triste dressé sur ses lèvres.

"Tu veux bien me suivre ?" Il me demande en tendant la main.

J'acquiesce en la prenant et le laisse me guider. Nous entrons dans l'immeuble. L'intérieur est pire que l'extérieur. Les fissures, taches, graffitis et traces de sang sur les murs me donnent des frissons. Mettons de côté les cris et les bruits de violence qui proviennent de certains appartements.

"C'est ici que je vis." Il dit une fois devant la porte de son appartement.

Je le regarde attentivement déverrouiller la porte puis entrer. Je le suis aussitôt et retiens mon choc en voyant l'intérieur. Il est à l'image de l'immeuble, délabré. Les pièces sont petites, le parquet grince, les murs sont fissurés. Pourtant, j'ai l'impression que puisque Mark vit ici, cet endroit n'est pas si mal que ça. Je ne m'y sens pas mal à l'aise comme le moment où je suis arrivé devant les immeubles.

"Ma vie a changé quand j'avais sept ans." Il commence en marchant dans l'appartement, me faisant un peu découvrir les alentours. "Un jour, mes parents travaillaient et Eli était encore à l'école. J'étais donc seul ici. Des gars sont venus et ont commencé à frapper fort à la porte. Seulement, mon père m'avait toujours dit de ne pas ouvrir quand j'étais seul. Alors j'ai attendu ici même, pétrifié, attendant le moment où ils partiront."

Je n'arrive pas à bouger ou à parler. Nous nous tenons face à la porte, à environs deux mètres. Mark a le regard rivé sur cette dernière et je vois que les mots ne lui viennent pas facilement.

"Ils ont enfoncé la porte et ont hurlé qu'ils cherchaient mon père. Seulement, ils m'ont trouvé à la place et ici, un garçon et un homme, c'est la même chose. Alors ils m'ont fait ce qu'ils auraient fait à mon père s'ils l'avaient trouvé."

Je le regarde avec de grands yeux alors qu'il soupire avant de dire d'un ton neutre:

"Ils m'ont battu jusqu'à ce qu'ils me croient mort."

Ma gorge se sert, mes lèvres tremblent. Je ne veux qu'une chose, c'est le prendre dans mes bras, mais je sais qu'il veut encore se dévoiler.

"C'est Eli qui m'a trouvé environ deux heures plus tard, dans une marre de sang. L'appartement était sans dessus dessous et j'étais inconscient. Après tout ça, je me suis réveillé à l'hôpital. Le diagnostic n'était pas bon mais je m'en suis sorti... Après ce jour, mon père a tout fait pour nous protéger. Mais ça n'a pas suffit. Il avait beaucoup d'ennemi. Des gangs rivaux, des mauvaises rencontres, les flics aussi. C'était trop pour lui et le gang."

Il se remet à marcher en prenant doucement ma main. Je sers la sienne comme pour le réconforter même si je doute que ça puisse faire une grande différence. Nous arrivons dans ce qui semble être sa chambre. Elle n'est pas très grande et est très sobre. Le lit est sous une fenêtre abîmée dont le bois semble vieux. Elle mène sur l'immeuble d'en face.

"En janvier 1990 Noah est né... Mais quelques mois plus tard, en novembre, Eli est mort. Il avait 14 ans. Il rentrait de cours un peu plus tard. Puisque nous étions au collège, nos emplois du temps étaient différents et nous ne rentrions plus en même temps tous les soirs." Il jette un coup d'oeil à travers la pièce et soupire avec beaucoup de mélancolie. "Il faisait déjà parti du gang. C'était la suite logique des choses. Ça l'a été pour moi aussi d'ailleurs. Les ennemis de mon père sont devenus les siens et alors qu'il rentrait des cours, il s'est fait cerné par la police. Le problème, c'est qu'il savait très bien qu'elle ferait tout pour le faire parler et pour le faire lâcher des infos sur le gang. Il a donc tenté de fuir mais il n'a pas été assez rapide..."

"M-Mark... Tu n'es pas obligé de-"

"Il s'est fait descendre au milieu de la rue. Les flics ont commencé à flipper et se sont tirés. Ils l'ont laissé se vider de son sang dans le froid, seul, sans personne à ses côtés. On a su qui avait fait ça grâce au gang. On a tout fait pour les retrouver mais les deux flics en questions avaient déjà mal fini. Je vais t'éviter les détails."

J'avale difficilement ma salive alors que je sens mes yeux devenir humides.

"Après ça, ma mère s'est beaucoup affaiblie. Je pense que sans mon père à ses côtés, elle n'aurait pas tenu le choc. Avec Noah en plus, elle avait beaucoup de travail. Mais puisqu'un malheur n'arrive jamais seul, trois ans plus tard, mon père s'est fait tuer par les membres d'un gang rival." Il dit tout ça alors que nous nous asseyons sur le lit. "J'avais donc 15 ans et je faisais déjà parti du gang depuis mes 13 ans. C'est là que ma mère a complètement déraillé. Elle a été diagnostiquée dépressive. Elle ne mangeait presque plus, ne parlait plus... Ne vivait plus... Alors j'ai arrêté d'aller en cours pendant un an pour m'occuper d'elle et de Noah sans oublier le gang. C'est pour ça que j'ai un an de plus que toi. Aujourd'hui on peut penser qu'elle va mieux mais je sais qu'elle n'est plus qu'une coquille vide. Elle enchaîne les heures de travail pour pouvoir nous nourrir mais aussi pour ne pas penser à sa vie d'avant..."

C'en est trop pour moi. Je commence à pleurer silencieusement sans pouvoir m'arrêter. Savoir que Mark a dû traverser tout ça seul à un si jeune âge me brise et semble me détruire. Je comprends maintenant que je ne le connaissait pas du tout. Voilà le vrai Mark, l'homme qui a su survivre malgré le désespoir qui s'abattait sur lui.

"Comme tu peux le voir, une information est liée à une autre et c'est pour ça que je ne t'ai pas simplement dit que je faisais parti d'un gang. Sans l'histoire de fond, celle de ma vie, plus rien n'a de sens. Et je t'aime suffisamment pour ne rien te cacher. En fait, je t'aime plus que tout Donghyuck. Je ne sais pas si tu m'en veux encore mais les larmes sur tes joues me font du mal autant qu'elles me rassurent... Je te le dis encore une fois, je t'aime."

"Mark... Je t'aime tellement..."

J'éclate en sanglots alors que je le prends dans mes bras. Il me sert aussitôt et enfouie son visage dans le creux de mon cou. Le savoir près de moi me calme et me rassure.

"Je suis avec toi Mark, pour toujours."

1997 // markhyuckOù les histoires vivent. Découvrez maintenant