- Ramènes-toi, vieux. C'est l'heure! hurla Sedwig depuis le vestiaire.
Hal ne répondit pas et frappa une nouvelle fois contre le sac de toile. Son ami avait fini l'entrainement depuis une vingtaine de minutes et laçait déjà ses chaussures. En soupirant imperceptiblement, il recula et se dirigea vers les douches. Il aurait mille fois préféré rester ici, à respirer l'odeur âcre de la salle d'entraînement, tout seul, que d'assister à cette cérémonie.
Le jeune homme tira la corde qui permettait l'écoulement de l'eau, et frissonna quand la douche glaciale le trempa instantanément. Il se savonna rapidement et rejoint Sedwig, apprêté, et déjà resplendissant dans sa tunique au liséré doré.
- J'ai l'air de quoi ? demanda-t-il en levant les bras, laissant voleter ses larges manches.
- D'un perroquet géant, grommela Hal en s'essuyant le corps.
- Hilarant. Dépêches-toi, on est déjà en retard.
Il revêtit enfin son habit, imposé par la tradition aux soldats de première classe. Le pantalon de toile brune, ses bottes de cuir, et la longue tunique rouge brodée des symboles du clan. Le soldat détestait cet uniforme, qui représentait tout ce qu'il détestait, à savoir, son père et ses méthodes.
Il prirent enfin le chemin de la grande place. Une estrade y avait été dressée et quelques drapeaux à l'effigie du loup gris, blason du clan des Teneran, flottaient autour de la place circulaire. La foule était déjà présente, et on voyait ça et là des uniformes de soldat où des robes traditionnelles colorées. Le brouhaha était intense, mais se calma à l'instant où les tambours se mirent à résonner dans une rue voisine, prévenant l'arrivée des dignitaires du clan.
Hal se pressa alors, suivant de près Sedwig, pour arriver à temps derrière l'estrade. Il grimpa rapidement, laissant son ami sur les pavés. Se glissant entre deux porteurs de bannière, il prit sa place dans le rang, au moment même où Jessiman Teneran atteignit la dernière marche, suivi de Dennis, et d'autres haut-gradés.
Aujourd'hui, Jessiman, le chef du clan depuis plus de trente ans, allait céder le pouvoir à son fils légitime. Cette cérémonie devait se faire en public, afin de passer les rênes et de couper définitivement les liens avec ce rôle.
Fenrhir, le chef du conseil, s'adressa dans ses termes à la foule qui s'étalait devant eux, tandis que Hal, impassible, se demandait si quelqu'un croyait véritablement à cette mascarade. Les bras croisés dans le dos, il refrénait toute envie de fuir cette humiliation publique, malgré les regards insistants qu'il percevait. Il perdait son regard dans la foule, distinguant immédiatement les citoyens conquis des fidèles originaires du clan. Les stigmates de la pauvreté se lisaient sur les vêtements et les visages. La ville n'avait été envahie que depuis un an, et Jessiman avait déjà assis son pouvoir sur toute la cité. Plus aucun rebelle ne subsistait. Tous avaient été massacrés, assassinés, ou faits prisonniers.
Enfin, le discours cessa, et le chef s'avança. Ses larges bras semblaient vouloir déchirer le cuir noir de sa longue veste, et une étole écarlate au liséré brodé reposait sur l'épaule gauche. Ses longs cheveux noirs, désormais grisonnants, étaient tressés dans son dos. Imposant, glacial, aussi dur qu'un roc, Jessiman était un chef implacable, intransigeant. Et totalement dépourvu de compassion.
- Mes amis, nous y voilà. Nous avons mené de belles batailles, nous avons conquis plus qu'il n'en faut pour faire notre renommée. Malgré les trahisons et les malheurs, je suis fier de ce que nous avons accompli toutes ces années. Vous m'avez tous été fidèles, et je vous remercie pour votre loyauté. Il est temps pour moi de laisser la barre à quelqu'un qui sera tout aussi capable de gérer les affaires de notre clan.
Il tendit la main vers Dennis, qui avait la même allure inébranlable. Celui-ci s'avança d'un pas.
- Dennis, mon fils, sera mon successeur. Ce soir, à la nuit tombée, il accomplira le rite de l'ascension pour obtenir le titre de chef.
Des murmures s'élevèrent, tandis que Hal sentit son cœur s'accélérer. Le rite ? Levant le bras, le chef coupa court à cette vague d'inquiétude.
- Je sais que certains d'entre vous s'inquiètent de nos pratiques. Mais vous êtes désormais sous la bannière du Loup. Et le loup paye ses dettes. Nous rendons grâce aux dieux pour nos victoires. A l'occasion de cette cérémonie, nous les remercierons. Le sacrifice aura lieu au coucher du soleil.
Des cris de protestations s'élevèrent parmi la foule, qui s'agita visiblement.
Hal déglutit péniblement en comprenant ce que venait de déclarer le chef. Cette tradition avait officiellement été interdite depuis des dizaines d'années, mais Jessiman et ses alliés étaient de ceux qui aimaient régner par la terreur et conservaient ce goût pour le sang et le spectacle. S'il pouvait s'offrir un dernier massacre pour introniser son fils, il le ferait sans aucun doute. Même si cela voulait dire qu'il devrait égorger des civiles devant l'ensemble de la population et se baigner dans leur sang.
- Vous êtes des barbares ! hurla une vieille femme, qui tenait un nourrisson contre elle.
D'autres essayèrent de quitter la place, mais furent retenus par les gardes placés aux entrées des rues. Hal sentait la tension monter, et se sentait de plus en plus mal parmi ces nobles qui ne semblaient pas le moins du monde dérangés par l'idée de sacrifices humains. Le jeune homme avait soudainement froid. Il pensa à Lucie, qu'il n'avait pas pu voir la veille, alors qu'ils se retrouvaient généralement tous les soirs au dîner. Il fut bousculé par un noble qui s'avança sur l'estrade, et parla avec véhémence. Un des membres du conseil, totalement acquis à la cause, fervent religieux, et dévoué au chef et à ses délires de conquête.
- Bande d'ignorants ! Comment pouvez-vous contester la volonté des dieux ?! Voulez-vous mourir ? Perdre vos familles ? Nous vous protégeons, vous nourrissons, et nous prenons sous votre aile alors que vous n'étiez que des païens primitifs !
Une pierre fut lancée et l'atteignit à la tempe, le faisant reculer. D'autres suivirent rapidement, et le cris devinrent plus puissants. Hal ne bougeait pas, tandis que les robes étaient soulevées et que les conseillers s'éloignaient et descendant de l'estrade. Le vieux continuait de vociférer, emmêlé dans ses robes.
En une fraction de seconde, tout alla très vite. Le cauchemars de l'an passé recommença, encore. Et la foule, ce peuple asservi par ce clan conquérant, fut comme un troupeau de chevaux sauvages acculé dans une gorge. Dennis trépignait d'impatience, la main sur le pommeau de son épée.
Hal vit alors Jessiman le regarder un bref instant avant de se retourner.
- Soit, tonna-t-il. Notre merci nous vous à pas suffi. Qu'il en soit ainsi. Fils, dit-il en regardant Dennis. Choisis ton premier sacrifice.
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Le Sang Des Reines
Fiksi UmumIl fût un temps où la réussite d'un clan reposait sur les conquêtes dues aux dieux et les jeunes femmes étaient sacrifiées comme cadeau. Mais la cruauté des hommes puissants surpasse-t-elle celle des révoltées ?