Le Binoclard et la Bad Girl [Livre 1 Terminé]

Jour 1 : Lundi midi

Ernst

Il n'y a pas dire, cette fille, en plus d'être flippante, est carrément dingue. M'embrasser, moi, le looser de service, au beau milieu de la cour ? Ça va m'attirer des ennuis, c'est sûr ! Plusieurs raisons me laissent penser ça. Déjà, y a Jake, le cousin de son ex qui est dans la même classe que nous qui veut la "pécho", comme il dit grossièrement. C'est clairement le genre de gars avec qui elle sort, d'ailleurs. Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai remarqué qu'il l'insupportait passablement. Enfin bon, si ça n'était que lui qui aurait voulu me faire une tête au carré, ça aurait pu passer... Mais vu les regards noirs que j'ai eu en arrivant en classe avec elle, j'ai sans doute le monde entier à dos. En plus, elle s'est assise à côté de moi, au premier rang, toute la matinée. Elle allait toujours au fond de la classe normalement, c'est un truc de rebelles, je crois. Je sens le parfum exquis de son shampooing. C'est complètement fou, elle va me rendre dingue. Mais qu'est-ce qui lui a pris, bon sang ?!

Au dernier cours de la matinée, je me suis esquivé rapidement, d'une part, j'espère éviter les gros bras qui ont l'air de vouloir m'enterrer sur place et puis Lou ne m'a pas lâché une seconde depuis qu'elle m'a embrassé, je n'ai pas trouvé de moyen de la fuir. Au milieu du couloir, lors de ma tentative de fuite pour rejoindre le self, j'ai entendu le claquement familier des talons de la ténébreuse. Mince, elle marche vite sur ses chaussures d'équilibriste ! Elle arrive bien vite à ma hauteur alors que je m'apprête à sortir du bâtiment.

"Eh bien, chaton ? On attend pas sa dulcinée ?" Je rêve, ce n'est pas possible autrement. Elle m'accompagne au self et s'installe à ma table, éloignée de toutes les autres. De là, on pouvait avoir une vue d'ensemble sur la salle, c'était pratique. Comme ça, je pouvais voir les ennuis arriver de loin. Enfin, exceptionnellement, mes ennuis se trouvent juste en face de moi cette fois-ci, en la tendre personne de Lou. J'ai l'impression que tous les regards sont braqués sur nous. J'évite de la regarder et je m'efforce de me concentrer sur mon plat. Je sais que si je relève la tête, je risque de rencontrer ses merveilleux yeux couleur noisette cernés de son affreux maquillage noir. Rien que de penser à ce gâchis de beauté, ça me fait mal au coeur. Me sortant de mes pensées, elle s'adresse à moi.

"Dis... T'as déjà eu une copine avant ? Ou embrasser quelqu'un ? Genre une cousine lointaine un peu sexy quand vous étiez gamins..."

Interloqué, je manque de m'étouffer avec ma fourchette et la regarde d'un air ahuri. Pourquoi elle me demande ça, de cette façon aussi désinvolte ?

"Heu... T'étouffe pas, hein. Si je dis ça, c'est juste parce que... T'embrasses vraiment bien. Je veux dire, j'ai eu pas mal de copains jusqu'ici mais ils embrassaient pas aussi bien et pourtant, y'a des tas de filles qui disent qu'ils embrassent comme des dieux alors que bon, c'est pas terrible, quoi..."

Je déglutis une nouvelle fois. Je ne sais pas quoi lui répondre. Enfin, est-ce que je dois vraiment lui répondre ? "Non, je n'ai jamais eu de petite amie et c'est marrant que tu en parles parce qu'en fait, je n'aurais jamais pensé recevoir mon premier baiser de la part d'une fille aussi canon que toi." Aïe, je ne peux décidément pas lui dire ça. Bon, je décide alors de rester sobre, enfin, d'essayer. C'est vraiment bizarre de parler avec elle.

"Non, jamais. Je n'ai jamais embrasser qui que ce soit ni eu de petite amie." Zut, ça doit faire un peu désespéré... Tant pis, au moins, c'est dit... Elle va peut-être me laisser tranquille, maintenant ?

"Ce doit être à cause des lunettes. Enfin, pas que j'ai quelque chose contre, ok ? C'est juste qu'elles sont abomin... Enfin, je veux dire, elles sont vraiment encombrantes et du coup, c'est vraiment chiant de t'embrasser avec ! Enfin, je veux dire..."

Incroyable, ce qui vient de se passer est juste incroyable. Elle essaie d'être... Gentille ? Alors c'est ça la pitié ? Et en plus, Lou, d'habitude si sûre d'elle, la voir aussi hésitante dans ses propos ? Je l'ai déjà entendu parler avec d'autres personnes et clairement, elle était toujours acerbe avec les autres. C'est la première fois que je la vois comme ça. Étonné, je la scrute avec curiosité. Elle a l'air gênée et son regard est... Fuyant ?

Lou

J'ai pris Ernst par la main pour aller en cours. Ouah, quelle idée débile, celle-là aussi ! Sa main est douce et chaude, je m'y attendais pas du tout ! En classe, il évite carrément mon regard, ben c'est pas grave, du coup je l'observe. Il est hyper concentré sur ses feuilles, comment il peut se passionner autant pour des trucs aussi chiants ? Ses affreuses lunettes cachent en grande partie son visage mais je suis sûre qu'il a un air sérieux et méga concentré. D'un air distrait, je griffonne le bord de mes feuilles. Mais qu'est-ce qui m'a pris de l'embrasser comme ça ? Et pourquoi j'arrive pas à regretter ? C'est le binoclard, quand même ! En plus, je l'ai appelé "chaton", c'est naze comme surnom... Et en plus, à la pause de midi, j'ai recommencé à l'appeler comme ça ! Il faut dire aussi que c'est beaucoup plus simple que Ernst ! Bon, puisque je suis décidée à présenter un type normal à ma madre, je me dis que je dois au moins passer la journée avec lui.

Le repas est hyper calme avec lui. Mais bon, j'ai trop envie de savoir d'où ça lui vient, sa façon divine d'embrasser, alors je l'ai interrogé. Et merde, j'aurais pas dû. Je commence à l'imaginer emballer des tas d'autres filles dans des soirées chaudes et à me faire des films... Houlà, je vais pas bien, moi. Il me dit qu'il n'a eu personne. Enfin, c'est pas si étonnant, les gens ne l'approchent jamais. Sauf pour se foutre de sa gueule, je crois. Je sais pas trop ce qui m'arrive mais j'arrive pas à lui parler. J'ai l'impression d'être une vraie conne. Merde. Je l'ai pas beaucoup entendu parler mais je savais qu'il s'exprimait très bien aux oraux, j'ai entendu les profs en parler entre eux. Et puis bon, il a les meilleures notes de la classe et p'tetre même de tout le lycée, alors c'est un peu normal que je me sente comme une abrutie.

Mais au point de couper mes mots, c'est pas normal. Ça m'arrive jamais, ça. Puis qu'est-ce qu'y m'arrive à essayer de pas le brusquer ? J'ai toujours été cash avec les gens mais je sais pas, j'ai pas envie de le faire fuir. Ah oui, si, je sais. Il faut bien que ma mère me voie avec à la sortie des cours... J'ai continué à m'asseoir à sa table aux cours de l'aprem. Il est vraiment pas bavard. Enfin, je sais bien que je fais cet effet-là à à peu près tout le monde et qu'il ne parle pas beaucoup non plus... Apparemment, ma présence intimide les gens et assèche leur gorge. C'est dommage, il a une voix étonnamment mature et posée, c'est très agréable, comparé aux autres crétins qui passent leur temps à crier après les filles... Mais qu'est-ce que je me raconte encore ? C'est pas agréable d'être à la table d'une espèce de geek que tout le monde évite comme la peste. Bah, c'est que pour la journée, de toute façon.

Je marche en silence à côté de lui. Je crois qu'il aime bien le silence. Il a arrêté d'essayer de s'enfuir. Enfin, il évite toujours de croiser mon regard. Je suis pas tellement sûre, avec ses saloperies de lunettes, difficile à dire, je me demande même comment il fait pour voir quoique ce soit avec des verres aussi épais et crades. Alors qu'on passe la grille, j'aperçois ma mère de l'autre côté de la rue. Fait chier, elle est vraiment là. Et Ernst commence déjà à s'éloigner vers l'arrêt de bus, merde ! Je le rattrape rapidement et le retiens par le bras. Il se tourne vers moi, circonspect.

"Heu, il y a un problème ?" Oui, bien sûr qu'il y a un problème ! Je prends son visage entre mes mains et l'embrasse fougueusement. Ça aurait fait perdre la tête à plus d'un des crétins que je connais. Dans ma hâte, j'ai même presque fait tomber ses lunettes. Mais bon, je suppose qu'elles doivent être vissées profondément dans sa peau. Je le laisse sur place alors qu'il affiche un air béat et je traverse la rue pour rejoindre ma mère.