Jour 4 : Jeudi midi

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Ernst

Bon, je n'ai pas vu Lou ce matin. C'est clair qu'elle m'en veut. Je lui en veux, moi aussi. Mince quoi, elle me rend marteau. Tant pis pour notre "pacte", j'espère seulement ne pas trop me la mettre à dos, avec toute cette histoire. Au fond, je m'en veux aussi. Je ne suis pas comme ça d'habitude, à croire qu'elle fait ressortir ce qu'il y a de pire en moi. La perversité d'un homme et sa violence... Je n'ai pas réussi à me concentrer sur les cours parce que je n'arrête pas de penser à Lou... À la pause déjeuner, j'espère secrètement la voir arriver et venir jusqu'à moi avec un large sourire... Oui, bon, je rêve carrément, d'autant plus que les rares sourires "larges" que j'ai pu voir chez elle, c'était toujours des sourires carnassiers totalement terrifiants. Ce qui n'est pas forcément une bonne chose, quand on est ciblé par son sourire...

Je suis tellement perdu dans le fil de mes pensées que je n'ai pas remarqué que j'ai été suivi en quittant le self. Je compte profiter du rayon de soleil et rester un peu dehors avant les cours de l'après-midi mais alors que je vais m'installer sur un banc non loin, je me trouve nez à nez cassé avec Jake. Mince, je l'avais oublié celui-là. C'est un peu de ma faute s'il a un pansement énorme sur le pif. Et lui, il ne l'a pas oublié. Il me prend par l'épaule fermement et me traîne jusqu'à un recoin dissimulé de la cour. Je n'ai pas besoin d'être un génie pour savoir ce qui m'attend, d'autant plus que nous avons été escortés jusque là... Jake et sa bande m'encerclent. Le chef autoproclamé me regarde d'un air mauvais et dégoûté puis il crache par terre. Typique.

"Alors l'intello, il paraît que t'es allé chez Lou hier, hein ? Vous deux, tenez-le, et toi, enlève-lui ses putains d'lunettes !" Jake frotte ses mains et fait craquer ses doigts. Il ne me fait pas trop attendre. Je n'ai même pas la force de me débattre, ils sont beaucoup trop nombreux. Les coups ont commencé à pleuvoir. Il enfonce son poing dans mon ventre et j'ai le souffle coupé. Puis son poing s'écrase sur mon oeil gauche et ma joue. Il continue un petit moment comme ça, puis quand il en a assez, il dit aux autres de me lâcher. Les jambes en coton, je m'écroule faiblement sur le bitume, adossé au mur du bâtiment. Jake prend mes lunettes que son sous-fifre tient encore dans les mains et les brise en deux avant de me les balancer au visage.

Je les regarde s'éloigner, riant et crachant insulte sur insulte sur le "sale petit binoclard" que je suis. Je me redresse péniblement. Je n'arrive pas encore à me lever alors je respire profondément en restant assis. Aïe, même respirer me fait mal... Je fixe le sol devant, espérant oublier ma douleur puis une ombre apparaît devant moi. Zut, ils sont revenus ? Je relève lentement la tête en me frottant le cou. Quelles magnifiques jambes...

Lou s'agenouille auprès de moi. Je lis l'inquiétude dans ses yeux. Mince, et dire que je croyais qu'elle n'en avait rien à faire de moi... Elle m'aide à me relever et me soutient sous le bras. Je pense qu'elle m'emmène à l'infirmerie mais nous sortons du lycée. Elle a dû dire quelque chose que je n'ai pas percuté. Je me sens un peu assommé, à vrai dire. En bas de son immeuble, je comprends enfin ce qu'elle avait dit en me relevant. "Je t'emmène chez moi."

Je pensais qu'elle m'en voulait encore pour ce qui était arrivé la veille... Elle m'allonge sur son canapé et va chercher une trousse de soin. Quand elle se penche à nouveau sur moi, je remarque qu'elle est différente de d'habitude, plus belle que jamais. Je n'arrive pas à savoir comment ni pourquoi. J'ai beaucoup de mal à réfléchir... Elle se montre capable d'une infinie douceur dans ses gestes. Une excellente infirmière, je n'aurais jamais cru ça d'elle. Ah, j'ai trouvé ce qui est différent, elle n'a pas mis de maquillage. On aurait dit un ange... Je lève ma main vers elle et caresse sa joue si douce, si pâle, qui commence légèrement à rosir à mon contact...

"Louna... Tu es si jolie..." Je n'ai pas pensé à ce que je dis ni à ce que je fais. Les mots sont sortis d'eux-mêmes. Je n'ai même pas pensé à la conséquence que ça peut avoir. Mince alors, elle va encore me faire une scène... Ou alors elle mettrait ça sur le compte d'un coup un peu trop violent qui m'aurait été porté à la tête...

Lou

J'ai dit à ma mère que je me sens pas bien et que je préférais me reposer plutôt que d'aller en classe. De toute façon, c'est pas la première fois que je sèche des cours... Je veux juste éviter Ernst. Je pense même pas aller au bahut de la journée. Mais je m'ennuie à l'appart alors j'ai fini par sortir. J'ai même pas pris la peine de me maquiller, je suis dégoûtée. J'ai couvert mon oreiller de noir à cause de mes putains de larmes... Une fois sur place, je vois Jake au loin avec ses crétins de potes, ils se marrent comme des types qui ont fait une connerie dont ils sont fiers... Merde, Jake en avait déjà après Ernst l'autre jour... Je sens mon sang bouillonner sous ma peau, je me précipite sur Jake et il stoppe net ses rires, en voyant mon regard glacial.

"Qu'est-ce que t'as fait, Jake ? Où est Ernst ?" Mon ton est dur et, même entouré de ses abrutis d'amis, il est hésitant à me répondre. Je vois bien que son regard est fuyant et il se masse le crâne d'un air distrait. Je l'attrape par son col dégueulasse et m'approche dangereusement de lui, de mon air le plus menaçant. Ses yeux dérivent un instant sur un recoin du bahut. Un recoin assez connu des racailles dans son genre. Ils l'appellent le coin des pleurs. Pas parce que les filles et autres dépressifs vont y fondre en larmes, non... Parce que c'est leur coin d'exécution. Je le relâche en le bousculant et rejoins aussitôt le recoin caché.

J'ai bel et bien deviné. Ernst est assis par terre, d'un air perdu. je m'approche doucement et me mets à sa hauteur. Ils l'ont pas raté, ces salauds... Je l'aide péniblement à se lever. Je dois le soutenir, je n'ai pas envie qu'il flanche.

"Je t'emmène chez moi... Je suis désolée Ernst... Je n'aurais pas dû m'énerver, c'était stupide, même de ma part..." Je jette un oeil dans sa direction. Je crois qu'il ne m'écoute pas. Tant pis, je l'emmène quand même avec moi. La montée des escaliers est longue mais une fois à l'appart, je le laisse un instant sur le canapé avant de nettoyer ses plaies.

Alors que je suis penchée sur lui, il pose sa main sur ma joue et me complimente. Il délire ou quoi ? Il est pas censé être fâché ? Pourtant, ses yeux bleu océan ne mentent pas. Il pense sincèrement ce qu'il dit. Malgré son cocard tout neuf et sa joue rougeoyante, qu'est-ce qu'il est beau sans ses lunettes... J'embrasse ses lèvres tendrement. Je veux pas le blesser davantage. Alors que je m'apprête à le relâcher, il enroule ses bras autour de moi et m'embrasse à son tour. En me serrant contre lui, il m'a carrément allongée sur son torse. Quel imbécile, je suis sûre que ça lui fait mal ! Mais j'ai pas pour autant envie de me détacher de lui.

Je glisse mes mains sous son pull et lui retire rapidement. Je suis une très mauvaise infirmière puisque je fais pas attention à ses bleus récents. Il porte un t-shirt de la série Zelda. J'adore. Je le regarde fixement pendant longtemps, comme si j'ai oublié que je suis assise sur mon geek. Lui par contre, n'a pas oublié et il toussote.

"Heum, Lou ?... Je... Je vais très bien, tu sais... Enfin je veux dire, je vais mieux, grâce à toi... Enfin je veux dire, c'est parce que tu as soulagé mon cocard, hein, ça n'a rien à voir avec ce... Baiser... Si doux et chaud... Et sensuel et..." Il a commencé à murmurer au milieu de sa phrase mais je n'en ai pas perdu une miette... Il a l'air gêné que j'ai vu son t-shirt affreusement fanboy de la princesse... C'est vraiment trop adorable. Je glisse à son oreille que moi aussi, j'adore cette princesse et je l'embrasse à nouveau.

Le Binoclard et la Bad Girl [Livre 1 Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant